Documentaire français de Charlotte Gainsbourg (2021), avec Jane Birkin, Charlotte Gainsbourg, Jo Attal… 1h28. Sortie le 12 janvier 2022.
Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin
Dans la lumière des flashes et des projecteurs depuis sa prime enfance, Charlotte Gainsbourg passe aujourd’hui derrière l’objectif pour filmer sa mère, Jane Birkin, qu’elle ne se lasse pas aussi de photographier. Comme si elle tentait d’apprivoiser un animal sauvage. L’affaire débute au Japon où l’égérie de Serge Gainsbourg entreprend une tournée triomphale de récitals sous le regard de sa fille qui semble la découvrir. Et puis, tout s’arrête ! Pendant deux années où la mère et la fille continuent à se voir en famille, comme si de rien n’était. Sans appareil photo ni caméra. Ce n’est qu’ensuite que les deux femmes optent pour une confession à deux voix empreintes de pudeur et de retenue et qu’on réalise à quel point ces femmes publiques si familières nous sont en fait pour une bonne part inconnues, seule l’écume de leur gloire nous ayant été offerte en partage jusqu’à présent.
Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin
On découvre ainsi combien Jane est impressionnée par Charlotte depuis sa naissance et l’on mesure l’impact de cette révélation perturbante sur celle qui doit assumer son rôle de fille aînée par procuration depuis la disparition tragique de sa demi-sœur Kate Barry en 2013, à seulement 46 ans. Un spectre qui hante ce film mémoriel, parfois déchirant, souvent aussi souriant, même lorsque la mère se confie à sa fille en tournant le dos à des images heureuses de la défunte qu’elle se refuse toujours à regarder pour ne pas sombrer. Avec au-dessus d’elles l’ombre obsédante de Serge Gainsbourg, lorsqu’elles retournent en pélerinage devant l’immeuble de la rue de Verneuil devenu un mausolée et l’appartement figé tel qu’il était à sa mort, en 1991. Un peu comme si Henry James avait contribué à l’écriture de ce documentaire sur lequel planent des spectres.
Charlotte Gainsbourg et Jane Birkin
Jane par Charlotte est un film mémoriel pénétrant qui repose sur la force de caractère et l’amour fou de ses deux icônes qui se réfléchit dans un miroir transformé en écran. Jamais voyeur, mais toujours sincère, ce jeu de la vérité nous est offert comme un cadeau. Celui de deux icônes qui assument leur statut parfois écrasant, mais refusent de se dérober devant l’obstacle en se livrant l’une à l’autre comme elles n’auraient peut-être pas été capables de le faire en l’absence d’une caméra. En rémission d’un cancer qui est loin d’avoir effacé son sourire, Jane Birkin profite comme jamais du soleil qui brille et de ses petits enfants qui jouent dans sa maison de Bretagne qu’on devine aussi douillette que foutraque. Charlotte semble quant à elle consciente de sa responsabilité vis-à-vis de la postérité en abordant devant la caméra des sujets ô combien intimes qu’autorise la proximité ménagée par cette confession à deux voix. La réalisatrice ne se contente toutefois pas de filmer les mots et l’émoi de sa mère. Elle l’inscrit au sein d’une véritable démarche créatrice, en donnant beaucoup d’elle-même et en trouvant des artifices pour la rassurer. C’est ce qui fait le prix de ce documentaire atypique accueilli triomphalement à Cannes, tant cette mère et cette fille appartiennent à leur époque et ont conscience de leur responsabilité vis-à-vis de leurs fans auxquelles elles offrent là le plus beau des présents. Un témoignage d’amour partagé, mais dépourvu de la moindre impudeur.
Jean-Philippe Guerand
au Festival de Cannes 2021
© J.-P. Guerand
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