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“Irradiés” de Rithy Panh




Documentaire franco-cambodgien de Rithy Panh (2020), avec (voix) André Wilms, Rebecca Marder 1h28. Sortie le 26 janvier 2022.





Mémorialiste du calvaire du peuple cambodgien, notamment à travers le centre Bophana qu’il a fondé en 2006, Rithy Panh s’est fait connaître par des documentaires conçus comme les pièces à conviction d’un exutoire collectif, mais aussi les morceaux d’un vaste puzzle en devenir. Il s’attache dans Irradiés à un sujet encore plus vaste : celui des ravages perpétrés par l’arme nucléaire depuis les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki qui ont mis un terme à la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur y retrouve son complice écrivain Christophe Bataille avec qui il avait déjà conçu L’image manquante (2013) et La France est notre pays (2015). Irradiés traite de la barbarie à visage humain, celle qui est née parmi les gaz mortels des tranchées de la Grande Guerre et n’a fait que prospérer au fil des conflits qui ont ravagé le vingtième siècle. Rithy Panh utilise pour cela des archives impressionnantes qu’il exhume pour l’occasion, qui dessinent un portrait saisissant de la folie humaine et des paysages dévastés qu’elle abandonne dans son sillage après avoir fait disparaître l’arme du crime.





Prix du meilleur documentaire à la Berlinale 2020, Irradiés est une expérience cinématographique intense que scandent les mots de Christophe Bataille prononcés par les voix de Rebecca Marder et André Wilms. C’est aussi un voyage au bout de l’enfer qui nous laisse groggy par ses images d’une violence inouïe et un habillage d’une pudeur exemplaire. Jamais les mots prononcés ne s’avèrent redondants avec ces documents d’actualités le plus souvent inédits qui soulignent combien la folie humaine est infinie et son inventivité dépourvue de limites. Ce film est un voyage au plus profond de l’âme humaine qui s’ouvre sur ces mots terribles : « Le mal nous cherche, si nous ne l’avons pas dispersé hors de nous en ouvrant une paume légère. » Rithy Panh y stigmatise la prégnance du mal à travers ce paradoxe qui veut que tout ce que l’homme invente finit par être exploité par d’autres pour se retourner contre ses semblables. Un cercle infernal dont Irradiés représente en quelque sorte la quadrature avec ses audaces esthétiques et son utilisation du double écran. Un film qui nous poursuit longtemps après sa projection. Comme un poison lent mais nécessaire.

Jean-Philippe Guerand







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