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“Adieu Monsieur Haffmann” de Fred Cavayé




Film franco-belge de Fred Cavayé (2020), avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche, Sara Giraudeau, Nikolaï Kinski, Anne Coesens, Mathilde Bisson, Frans Boyer, Claudette Walker… 1h56. Sortie le 12 janvier 2022.



Gilles Lellouche et Daniel Auteuil



À trois quarts de siècle de distance, l’Occupation continue à inspirer des films… mais plus tout à fait les mêmes. Adieu Monsieur Haffmann s’inspire ainsi d’une pièce de théâtre homonyme de Jean-Philippe Daguerre qui propose une réflexion passionnante sur ce clivage entre résistants et collaborateurs que le Général de Gaulle a tenté d’escamoter à la Libération dans le but de pacifier la France et faciliter sa reconstruction, en maintenant à leur poste des fonctionnaires que les circonstances avaient parfois poussés à l’ignominie. Dans le quartier de Montmartre, en 1942, le joaillier juif Joseph Haffmann décide de partir en province pour mettre sa famille à l’abri et confie préalablement sa boutique à son unique employé qui s’installe également à son domicile avec sa jeune épouse. L’armée allemande ayant renforcé sa surveillance dans les gares, il ne parvient toutefois pas à quitter la capitale et décide d’attendre un moment plus opportun en s’installant dans la cave de son atelier. Mais la pression monte et son séjour se prolonge, tandis qu’à l’étage, son employé fait fructifier le commerce sans états d’âme…



Daniel Auteuil



Le résumé qui précède peut faire redouter le pire et, une heure durant, on assiste à cette étude de caractères avec un indicible sentiment de malaise dû pour une bonne part à une impression qu’a déjà suscité naguère un classique consacré à cette époque, Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle, mais aussi dans une moindre mesure Monsieur Batignole (2002) de Gérard Jugnot. Le film nous rend complices d’une intrigue qui nous donne l’impression désagréable d’être manipulés malgré nous par un cinéaste qui cherche à faire le malin en démontrant sa maestria, en l’occurrence Fred Cavayé, solide artisan du thriller qui avait déjà adapté une pièce dans son film précédent, Le jeu. Avec cette morale de calendrier des postes en bandoulière : “Le malheur des uns fait le bonheur des autres…” Rares sont en effet les films à prendre pour protagoniste un collaborateur et à nous confronter à cette amoralité pernicieuse qui consistait chez certains à profiter des circonstances pour saisir la chance de leur vie. Le fait de lever le voile sur ces zones d’ombre qui ne font pas honneur à notre nation, même trois quarts de siècle après les faits, est toutefois le signe d’un début de reconsidération d’un fardeau qui restera douloureux jusqu’à la disparition du dernier survivant adulte de la Seconde Guerre mondiale et continuera à trotter dans l’esprit des générations futures.



Sara Giraudeau



Sur le plan scénaristique, tout l’intérêt d’Adieu Monsieur Haffmann repose sur la façon dont un citoyen ordinaire bascule dans l’ignominie pour assouvir une revanche sociale que la société ne lui aurait probablement pas offerte en temps de paix dans une France tout juste convalescente du Front Populaire qui est encore régie par la lutte des classes. Malgré son schématisme un peu démonstratif, cette histoire édifiante réglée comme du papier à musique n’échappe à la banalité que grâce à la justesse de ses trois interprètes principaux : Daniel Auteuil en bouc émissaire docile, Gilles Lellouche sur un registre plus riche que d’habitude et surtout Sara Giraudeau en petite femme de Paris comme on en croisait parfois dans le cinéma d’Avant-Guerre. Elle excelle sur ce registre ingrat qui n’est pas sans évoquer la gouaille de Janie Marèse dans La chienne (1931) de Jean Renoir, par exemple. Ce film est pour elle celui de la consécration.

Jean-Philippe Guerand






Gilles Lellouche

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