Film américain de Steven Spielberg (2021), avec Ansel Elgort, Rachel Egler, Ariana DeBose, David Alvarez, Rita Moreno, Brian d’Arcy James, Corey Stoll, Mike Faist, Josh Andrés Rivera, Ana Isabelle… 2h37. Sortie le 8 décembre 2021.
De l’audace, il en fallait pour s’attaquer à une institution telle que West Side Story, fort de ses dix Oscars et de son classement en 1998 par l'American Film Institute à la cinquante-et-unième place des plus grands chefs d’œuvres cinématographiques américains de tous les temps. Parce qu’il n’est jamais recommandé de se frotter aux monuments et qu’il y a plus à y perdre qu’à y gagner. Parvenu au faîte de sa gloire et devenu lui-même une légende de son temps, Steven Spielberg n’a cure de ces précautions, même si Always (1989) était un remake raté d’Un nommé Joe (1943) de Victor Fleming et si Hook (1991) fit naguère pâle figure par rapport aux Aventures de Peter Pan (1953) de Walt Disney. Il n’en est rien cette fois-ci, pour la simple raison que le réalisateur revient aux sources en portant à l’écran la comédie musicale créée à Broadway en 1957 et non l’adaptation cinématographique qu’elle a inspiré quatre ans plus tard à son chorégraphe Jerome Robbins et au réalisateur Robert Wise. Soixante ans plus tard, Spielberg et son fidèle scénariste Tony Kushner demeurent fidèles à l’esprit et à la lettre du livret de Stephen Sondheim, disparu le 26 novembre dernier à l’âge de 91 ans. Celui-ci transpose l’histoire de “Roméo et Juliette” dans un quartier de New York en cours de rénovation où s’affrontent deux bandes rivales : les Sharks (des immigrés d’origine portoricaine) et les Jets (des américains de souche européenne). La partition musicale de Leonard Bernstein a quant à elle bénéficié de la supervision experte du grand John Williams qui ne lui applique toutefois pas la moindre révision fondamentale.
Lorsque la petite sœur du chef des Sharks tombe amoureuse de l’ex-leader des Jets, qui a pris ses distances avec ses camarades après avoir purgé une peine de prison, la tension monte entre les deux communautés dans un affrontement inéluctable. Le tout scandé par quelques morceaux d’anthologie que tout le monde a en mémoire et dont Spielberg tire des numéros musicaux qui n’ont rien à envier à ceux de l’original. Pas question pour le cinéaste de moderniser quoi que ce soit à l’excès. Au générique graphique conçu par le génial Saul Bass, il substitue une somptueuse entrée en matière filmée parmi des immeubles en ruine et des gravats. Quant à la modernité du propos, elle s’accompagne dans cette nouvelle version de quelques détails présents dès l’origine que le scénario se contente de mettre en valeur, à l’instar de ce garçon manqué qui cherche à s’intégrer parmi les Jets auxquels leur machisme d’un autre âge interdit d’accepter une fille dans leurs rangs. Le spectateur d’aujourd’hui interprètera sans doute ce personnage comme une préfiguration de la transsexualité devenue désormais un phénomène de société à part entière. Ce n’est sans doute pas fortuit. Quant au discours sur le racisme et la tolérance entre immigrés de générations successives, il conserve toujours aussi son actualité brûlante au pays de Black Lives Matter.
Ariana DeBose et David Alvarez
West Side Story brille par la splendeur de sa mise en scène qui vaut à Spielberg de se mettre intégralement à son service, en imaginant des solutions alternatives qui rendent toute velléité de comparaison à peu près vaine. À l’instar du sommet de cette version : le standard “America” au texte ô combien symbolique de l’intégration dans le melting-pot qui donne lieu à un ballet prodigieux en pleine rue où les jupons volent. Les morceaux de bravoure s’enchaînent à un rythme soutenu et cette nouvelle version propose davantage une nouvelle lecture de la partition, avec quelques variations notables conditionnées par le respect du spectacle initial, que sa relecture appliquée. Spielberg s’approprie le film, notamment sur le plan artistique, avec la collaboration de son chef opérateur virtuose Janusz Kaminski qui s’offre quelques coquetteries du plus bel effet, comme cette vue plongeante des deux gangs précédés par leurs ombres immenses avant de s’affronter. La réussite repose aussi sur un casting impeccable d’où émerge le couple formé par le dégingandé Ansel Elgort (Baby Driver) et la menue Rachel Zegler dans le rôle naguère tenu par Natalie Wood, mais aussi Rita Moreno aujourd’hui nonagénaire qui va jusqu’à s’offrir une confrontation émouvante avec le personnage d’Anita qu’elle incarnait dans le film original, campée ici par la volcanique Ariana DeBose. Steven Spielberg a réussi une fois de plus son pari et signe la relecture enthousiasmante d’un grand classique. Il en existera donc désormais deux versions tout aussi séduisantes que conciliables, sans qu’il soit forcément utile de les comparer. Ce sont les deux faces d’une même pièce : différentes mais indissociables l’une de l’autre.
Jean-Philippe Guerand
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