Accéder au contenu principal

“Madeleine Collins” d’Antoine Barraud




Film franco-belgo-suisse d’Antoine Barraud (2021), avec Virginie Efira, Bruno Salomone, Quim Gutiérrez, Loïse Benguerel, Jacqueline Bisset, Valérie Donzelli, Nadav Lapid, Thomas Gioria, François Rostain, Nathalie Boutefeu… 1h47. Sortie le 22 décembre 2021.



Quim Gutiérrez et Virginie Efira



Une femme procède à des essayages dans un grand magasin. Jusqu’au moment où elle est terrassée par un malaise qui engendre un véritable mouvement de panique dans l’établissement… Ailleurs, une autre femme dit au revoir à son mari et à sa fille pour partir donner une série de récitals loin de là. Ailleurs encore, la même semble vivre un bonheur parfait en compagnie d’un autre homme et de deux garçons plus âgés… Avec ses deux premiers longs métrages de fiction, Les gouffres (2012) et Le dos rouge (2014), Antoine Barraud avait démontré une virtuosité associée à un goût de l’étrange et à un certain penchant pour l’esthétisme. Madeleine Collins pousse encore plus loin ces obsessions à travers une intrigue qui repose à la fois sur une mise en abyme et une certaine confusion des sentiments. À l’instar de la scène d’ouverture, décrite plus haut, qui semble longtemps détachée de tout ce qui suit et ne trouvera son véritable sens qu’à la lumière des événements. En engageant Virginie Efira pour tenir le rôle principal de cette blonde énigmatique qui passe d’un monde à l’autre avec un naturel déconcertant, le réalisateur convoque une référence écrasante mais évidente : Alfred Hitchcock. L’actrice est en ce sens une sorte de réincarnation moderne de ses fameuses héroïnes glacées, de Grace Kelly à Tippi Hedren en passant évidemment par Kim Novak dans Sueurs froides (1958)… d’ailleurs prénommée elle aussi (notamment) Madeleine dans le film.



Virginie Efira



Madeleine Collins est un jeu de piste envoûtant qui nous entraîne aux confins de la schizophrénie. Dans la tête d’une femme victime d’un traumatisme jamais résolu qui a décidé de vivre par procuration un destin qui n’est pas tout à fait le sien, en cloisonnant hermétiquement ses deux vies. On pense évidemment à L’adversaire d’Emmanuel Carrère et à cette souffrance qui conduit à nier la réalité en se réfugiant ailleurs. À l’intrigue policière qu’induit généralement une telle thématique, Antoine Barraud préfère une descente en apnée dans les tréfonds de la psychologie, en essayant de démonter le mécanisme de la mythomanie et de plonger parmi ses racines. Davantage qu’une manipulatrice experte, son héroïne est une virtuose de l’illusion dont l’équilibre mental repose sur la cohabitation harmonieuse des deux vies qu’elle a choisi de mener de concert. Avec sans doute aussi cette prise de risque assumée qui consiste à se mettre volontairement en danger pour être confondue et échapper enfin à cet enfer mental dont elle est devenue prisonnière. C’est toute la beauté de ce travail d’orfèvre conçu comme une double spirale abyssale dans lequel on ne peut plonger qu’avec délectation.

Jean-Philippe Guerand





Virginie Efira et Bruno Salomone


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract