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“Lingui, les liens sacrés” de Mahamat-Saleh Haroun




Lingui Film franco-germano-belgo-tchadien de Mahamat-Saleh Haroun (2021), avec Achouackh Abakar Souleymane, Rihane Khalil Alio, Youssouf Djaoro, Briya Gomdigue, Hadjé Fatimé N’goua, Mounira Michala… 1h27. Sortie le 8 décembre 2021.



Rihane Khalil Alio



Mahamat-Saleh Haroun fait partie de ces cinéastes qui ne tournent jamais pour ne rien dire. Il figure parmi ces artistes africains engagés qui prennent leur rôle très au sérieux et utilisent leur statut et le renom qui lui est associé pour essayer de faire évoluer les mentalités dans des contrées reculées dont seuls les journaux télévisés nous délivrent de rares images… pour peu de regarder les chaînes qui les diffusent. En ce sens, chacun des opus du réalisateur tchadien constitue un événement pour lequel la présence dans un grand festival international s’avère cruciale. Cannes a ainsi présenté cinq de ses films et Venise deux d’entre eux, soit l’essentiel de ses longs métrages à ce jour. Son semi-documentaire Bye, Bye Africa et Saison sèche lui ont même valu respectivement deux et cinq prix à la Mostra en 1999 et 2006, et Un homme qui crie le Prix du jury sur la Croisette en 2010. Lingui, les liens sacrés aborde un sujet tabou : l’avortement, dans un pays où cette pratique est prohibée par la religion musulmane et ne peut se dérouler que dans une clandestinité qui renvoie à la France catholique d’il y a un demi-siècle en résonnant en écho à un film récent : l’adaptation par Audrey Diwan de L’événement d’Annie Ernaux.



Achouackh Abakar Souleymane et Rihane Khalil Alio



L’approche de Mahamat-Saleh Haroun est évidemment toute autre. Elle se concentre sur la complicité de deux femmes : une mère dont la fille enceinte se trouve confrontée à une société archaïque sur laquelle les mâles règnent depuis la nuit des temps. Il est d’autant plus primordial que ce soit un homme qui s’empare de cette thématique, tant le cinéma d’africain accorde encore peu d’espace aux réalisatrices. Cet ostracisme implique pour les interprètes féminines du film une véritable prise de risque qui en fait d’authentiques militantes malgré elles. Lingui, les liens sacrés représente en cela un véritable acte de courage politique dont il ne faudrait surtout pas minimiser l’audace. C’est tout à l’honneur du cinéaste de se frotter à une thématique aussi brûlante dans son cadre même, le Tchad d’aujourd’hui, sous la double menace d’un patriarcat ancestral et d’un intégrisme pétri d’obscurantisme. En cela, le film cultive des affinités naturelles avec un autre opus révélé il y a quelques années : Timbuktu (2014) du mauritanien Abderrahmane Sissako. En saisissant ainsi à bras-le-corps le destin de leur peuple, ces cinéastes contribuent à faire évoluer les mentalités, quitte à prendre le risque de déplaire à certains. C’est précisément l’une des fonctions les plus nobles du septième art. Ce film en est l’expression.

Jean-Philippe Guerand






Rihane Khalil Alio

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