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“Hollywood 1953” d’Aaron Sorkin




Being the Ricardos Film américain d’Aaron Sorkin (2021), avec Nicole Kidman, Javier Bardem, J. K. Simmons, Nina Arianda, Tony Hale, Alia Shawkat, Jake Lacy, Linda Lavin, Ronny Cox, John Rubinstein, Clark Gregg, Nelson Franklin… 2h11. Mis en ligne sur Amazon Prime Video le 21 décembre 2021.



Nicole Kidman



Un film d’Aaron Sorkin se reconnaît dès ses premières images. Avec la série culte “À la Maison Blanche”, cet orfèvre de l’écriture a bouleversé les lois du storytelling et fait bouger les lignes narratives traditionnelles autour de sujets souvent politiques sinon historiques et polémiques. Un an après Les Sept de Chicago diffusé par Netflix, son dernier opus en date est réservé aux abonnés d’une autre plateforme, Prime Video. Il y aborde une période clé de l’Après-Guerre encore assez peu évoquée à l’écran, celle du Maccarthysme et de ses ravages dans l’industrie audiovisuelle et cinématographique américaine, à travers les accusations de communisme portées contre la plus grande star de télévision de l’époque : Lucille Ball, actrice de série B rendue populaire grâce à à la Sitcom à succès “I Love Lucy” dont elle partageait la vedette avec son époux, Desi Arnaz. Hollywood 1953 s’attache à une semaine décisive au cours de laquelle le travail préparatoire d’un épisode a coïncidé avec la mise en place d’une stratégie de défense efficace contre des rumeurs dont l’effet pouvait s’avérer dévastateur, en raison d’une déclaration de la comédienne au journaliste Walter Winchell montée en épingle par la presse à scandales. L’occasion pour Sorkin de rendre hommage à ses maîtres et de montrer comment fonctionnait la télévision américaine des années 50, à travers la lutte d’influence qui se joue entre la chaîne CBS, le tout-puissant fabricant de tabac et sponsor Philip Morris et la star, le réalisateur lui-même n’étant quant à lui qu’un employé dépourvu de pouvoir traité comme quantité négligeable lors des réunions de production.



Nicole Kidman et Desi Arnaz



Adepte des constructions sophistiquées et des numéros de virtuosité spatio-temporels (rappelons-nous de l’ouverture de son premier long métrage, Le grand jeu, 2017), Aaron Sorkin joue simultanément sur trois niveaux de lecture imbriqués les uns dans les autres : le travail scénaristique, sa confrontation avec le résultat à l’écran à travers les vicissitudes de la famille Ricardo, le contexte politique et les relations intimes de Lucille et Desi, partenaires dans la vie comme à l’écran où ils sont également producteurs sous l’égide de leur société Desilu au nom évocateur. Le film ajoute à ce dispositif un procédé déjà utilisé par Warren Beatty dans Reds (1981) en donnant la parole à de supposés témoins d’aujourd’hui qui contribuent à mettre en perspective cette chronique, sous couvert d’une pseudo-caution documentaire. La mise en scène et avant elle l’écriture mettent ainsi leurs ressources les plus sophistiquées au service d’une reconstitution impeccable qui montre à la fois comment voyaient le jour ces “fictions télévisées” diffusées en direct et en public et montre le pouvoir de nuisance exercé par le Comité des activités anti-américaines et le tout-puissant patron du FBI, J. Edgar Hoover, lequel fait d’ailleurs une apparition inattendue dans le film.



Alia Shawkat, Nicole Kidman et Nina Arianda



Hollywood 1953 ajoute un chapitre important à la sous-représentation du Maccarthysme dans le cinéma américain qui en constitua pourtant l’une des cibles les plus médiatisées à travers la fameuse Liste noire à laquelle Irwin Winkler a consacré le film homonyme. On citera également sur ce sujet Le prête-nom (1975) de Martin Ritt, The Majestic (2001) de Frank Darabont, Good Night and Good Luck (2005) de George Clooney, J. Edgar (2011) de Clint Eastwood, Dalton Trumbo (2015) de Jay Roach et, dans une moindre mesure, les diverses adaptations de La chasse aux sorcières d’Arthur Miller. C’est dire l’importance de ce travail de reconstitution méticuleux qui nous donne à voir les coulisses d’une industrie télévisuelle florissante contre laquelle Hollywood multipliait les parades technologiques, du Cinémascope (né précisément en 1953) au relief. Cette réussite passe aussi par la composition de Nicole Kidman, préférée à Cate Blanchett, particulièrement spectaculaire lors des reconstitutions de séquences d’“I Love Lucy” où elle reproduit à l’identique ses mimiques et ses jeux de scène. Avec à ses côtés le toujours parfait Javier Bardem en Latin Lover. En attendant le prochain projet de Sorkin, The Politician : An Insider’s Account of John Edwards’s Pursuit of the Presidency and the Scandal That Brought Him Down, tiré du best-seller homonyme d’Andrew Young qui s’annonce comme une immersion dans la pré-campagne présidentielle américaine de 2008.

Jean-Philippe Guerand





Desi Arnaz et Nicole Kidman

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