Film britanno-canadien de Jane Campion (2021), avec Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons, Kodi Smit-McPhee, Thomasin McKenzie, Keith Carradine, Frances Conroy, Genevieve Lemon, Sean Keenan, George Mason… 2h08. Mise en ligne sur Netflix le 1er décembre 2021.
Kirsten Dunst
Aux commandes du plus gros ranch du Montana, les frères Burbank ont des natures individuelles et des conceptions de la vie fort différentes. Alors quand George annonce à Phil qu’il vient d’épouser une veuve qui élève seule un adolescent timoré, ce dernier prend en grippe sa belle-sœur et son fils qu’il va tout mettre en œuvre pour chasser de chez lui. Jusqu’au moment où son armure va commencer à se fendiller et où ses certitudes vont vaciller… The Power of the Dog se déroule dans le cadre d’un western situé au début du XXe siècle, à une époque charnière où les chevaux cohabitent avec les premiers véhicules à moteur et où le fossé se creuse entre des villes qui voient s’élever les premiers gratte-ciel et des espaces sauvages que le progrès peine à civiliser. Un cadre utilisé notamment naguère par Sam Peckinpah dans Un nommé Cable Hogue (1970) qui s’attache à un monde en perte de repères où certains optent pour le progrès alors que d’autres se cramponnent à des traditions caduques. C’est le cas des frères Burbank qui incarnent cette dichotomie. Avec au-dessus d’eux des non-dits assassins et une confusion des sentiments omniprésente. Et puis aussi cette tradition du western dans laquelle souhaite s’inscrire Jane Campion, comme l’atteste notamment ce plan sublime qu’elle emprunte à La prisonnière du désert (1956) de John Ford, dans un hommage discret qui constitue aussi le tribut de sa directrice de la photo australienne Ari Wegner au chef opérateur oublié Winton C. Hoch, pourtant quadruplement oscarisé entre 1940 et 1953.
La prisonnière du désert (1953) de John Ford
À son habitude, Jane Campion s’attache en priorité à ces gens façonnés par le monde qui les environne dont il peine à maîtriser les codes. Au-delà du bien et du mal qui auraient pu inspirer un affrontement manichéen, dont la cinéaste brasse d’ailleurs habilement les principales composantes, The Power of the Dog s’appuie sur des ellipses audacieuses, en évitant tous les pièges de son sujet. C’est un moyen pour elle de compatir avec ces hommes qui ne vivent pas leur époque de la même façon et peinent à exprimer leurs sentiments dans une société puritaine et contraignante qui émerge tout juste de l’obscurantisme. Il s’agit sans doute là de ce qui l’a intéressé dans Le pouvoir du chien de Thomas Savage, un roman publié en 1967 qui décrit avec minutie les paradoxes de cette époque où les descendants des premiers pionniers voyaient s’effondrer le monde qui les entourait. C’est ainsi qu’il faut interpréter le culte que voue Phil à un cow-boy mythique, Bronco Henry, qui en est venu à remplacer pour lui son véritable père, parti s’installer en ville avec son épouse, ce qu’il considère comme une trahison indigne. Et puis aussi cette communion hédoniste avec la nature qui inspire une scène de baignade bucolique à ces hommes encore un tantinet primitifs.
Kodi Smit-McPhee
Dans ce film qu’elle annonce déjà comme le point final de sa carrière, la réalisatrice de La leçon de piano (1993) et de Bright Star (2009) s’attache à des personnages pétris de contradictions qui ne sont pas toujours à l’aise dans leur époque et contestent le statut social qui leur est imposé par un replis sur soi dérisoire. Rien n’est écrit dans cette histoire dont elle se garde d’accabler les protagonistes en en confiant l’interprétation à des acteurs subtils. L’homme du passé, c’est le britannique Benedict Cumberbatch, l’un des plus brillants acteurs de composition de notre époque, qui interprète son rôle tout en nuances, en dissociant ses pulsions des démons qui le hantent. La réalisatrice dispose face à lui Jesse Plemons et Kirsten Dunst, couple à la ville comme à l’écran dont il exploite habilement la complicité naturelle. Avec, en guise de joker, ce jeune homme fragile et assaillis de doutes existentiels et méttaphysiques qu’incarne l’acteur australien Kodi Smit-McPhee, révélé naguère par La route. La puissance du film repose pour une bonne part sur la façon dont Jane Campion pousse ces êtres dans leurs derniers retranchements en allant au-delà des apparences et en subvertissant les codes du western traditionnel. Il n’y a ni saloon ni rodéo dans ce drame épuré qui raconte un monde finissant. Quant aux Indiens, ce sont de simples autochtones qui cherchent à acquérir des peaux de bêtes pour les tanner. The Power of the Dog se présente en cela comme une étude de mœurs dans laquelle se côtoient celles et ceux qui s’accrochent au passé et celles et ceux qui se projettent déjà dans un futur de bruit et de fureur.
Jean-Philippe Guerand
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