Film colombo-thaïlando-britanno-mexico-français d’Apichatpong Weerasethakul (2021), avec Tilda Swinton, Elkin Diaz, Jeanne Balibar, Juan Pablo Urrego, Daniel Giménez Cacho, Agnes Brekke… 2h16. Sortie le 17 novembre 2021.
Un matin, au cœur de Bogota, une femme étrangère perçoit une sorte d’explosion d’origine inconnue. Mais quand elle s’enquiert de son origine, personne ne semble en mesure de lui apporter une réponse satisfaisante. Alors elle va consulter un ingénieur du son qui réussit à reconstituer le bruit à partir des indications qu’elle lui fournit. En se promenant dans la ville et sa région, elle assiste à plusieurs événements étranges dont elle semble être la seule à se préoccuper. Pour le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, le cinéma est l’art des cinq sens par excellence et il ne se lasse pas d’explorer ses frontières les plus extrêmes. Avec Memoria, Prix du jury à Cannes, il accorde la primauté au son, ce parent pauvre du cinéma qui offre pourtant des ressources infinies dès lors qu’il est traité avec la même considération que l’image. Comme souvent chez le cinéaste, tout est affaire de sensations. Que ce soit dans ses installations ou ses films, il s’efforce de visiter des zones inexplorées, comme s’il était lui-même doté de capacités extra-sensorielles.
Tilda Swinton et Jeanne Balibar
Memoria est un acte de cinéma fascinant qui n’appartient vraiment à aucun genre répertorié, mais cultive une certaine proximité avec la science-fiction, sans pour autant en exploiter les codes traditionnels, malgré une chute finale déconcertante. Apichatpong Weerasethakul traite l’irrationnel au quotidien, sans les artifices coutumiers dont usent ses confrères. S’il quitte l’Asie du Sud-Est pour la lointaine Amérique latine et engage deux égéries européennes du cinéma d’auteur, la britannique Tilda Swinton et la française Jeanne Balibar (qui ne fait qu’un petit tour et puis s’en va), c’est pour explorer à sa manière de nouveaux horizons et cerner des facettes invisibles de l’inconnu. Memoria est une sorte de voyage nimbé de métempsycose au cours duquel des phénomènes irrationnels annoncent des événements non moins extraordinaires. L’auteur d’Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) (2010) y ressasse ses obsessions magnifiques en les transplantant dans une terre qu’il semble découvrir en même temps que nous, mais où son regard si singulier trouve naturellement ses repères. Ce trip spirituel et charnel est de ceux qui envoûtent et égarent.
Jean-Philippe Guerand
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