Documentaire français de Marie Dumora (2020) 1h42. Sortie le 17 novembre 2021.
Nicolas, 13 ans, vit en foyer, mais retrouve les siens de temps à autre pour célébrer certaines occasions particulières. Il perpétue là une tradition familiale qui a conduit sa mère Sabrina et sa tante Belinda à emprunter des itinéraires identiques. De film en film, la documentariste Marie Dumora poursuit un travail d’observation extrêmement personnel qui vise à observer un noyau pour le moins dysfonctionnel où les accidents de la vie semblent condamnés à se répéter de génération en génération sans que les enfants parviennent vraiment à tirer des enseignements des erreurs de leur parents. Loin de vous j’ai grandi constitue ainsi un nouveau chapitre de cette saga en devenir qui prend pour cadre un territoire déshérité du Grand Est, avec son folklore, ses traditions et son accent, en s’inscrivant au sein de cette école française du cinéma de l’intime à laquelle appartient également Sébastien Lifshitz. De film en film, la réalisatrice construit un fascinant portrait de groupe et regarde grandir, mûrir et vieillir ses protagonistes qu’elle est parvenue à apprivoiser au point de leur faire oublier la présence de sa caméra pudique et jamais voyeuse.
C’est la vie qui respire par tous les pores de cette chronique impressionniste à travers laquelle elle observe ces gens modestes en se gardant de porter des jugements à l’emporte-pièces sur leurs choix parfois contradictoires. Jamais Marie Dumora ne se met en surplomb de son sujet. Elle instaure au contraire une intimité troublante au sein de laquelle elle nous intègre et nous invite à partager des moments festifs parce que ce sont ceux au cours desquels la tribu se trouve réunie au grand complet et festoie pour oublier son quotidien cahotique, y compris quand il s’agit de suspendre des guirlandes afin de décorer grossièrement une pièce aux murs nus. S’établissent ainsi des parallélismes troublants entre les baptêmes, avec ces drôles de paroissiens endimanchés à la va-comme-je-te-pousse et ces curés dont les bénédictions résonnent parfois comme des prophéties dérisoires : « Tu rencontreras des difficultés sur la route, dit l’un d’eux, mais en te baptisant, tu reçois une dignité de fils de Dieu que rien ni personne ne pourra t’enlever. » C’est la grandeur de ce film de nous montrer ces obscurs, ces sans-grade que le cinéma ne nous montre presque plus jamais, de peur de déplaire au “grand public”.
Jean-Philippe Guerand
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