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“L’événement” d’Audrey Diwan




Film français d’Audrey Diwan (2021), avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein, Luàna Bajrami, Louise Orry-Diquéro, Sandrine Bonnaire, Louise Chevillotte, Pio Marmaï, Anna Mouglalis… 1h40. Sortie le 24 novembre 2021.



Louise Orry-Diquéro, Luàna Bajrami et Anamaria Vartolomei



Trois mois seulement après la sortie de l’adaptation par Danielle Arbid de Passion simple, L’événement d’Audrey Diwan rattrape quelque peu le temps perdu par le cinéma vis-à-vis de l’œuvre d’Annie Ernaux. Sans doute notre époque s’y prête-t-elle à merveille et l’on ne peut que s’en féliciter, tant cette voix porte en elle les aspirations les plus profondes et les plus douloureuses de son sexe, si longtemps réduit à une sourdine qui ressemblait à s’y méprendre à un silence assourdissant. Dans ce récit autobiographique publié en l’an 2000, l’auteure chronique avec minutie la tragédie que représentait une grossesse non désirée dans la France de 1963, avec à la clé un avortement clandestin qui représentait alors un potentiel danger de mort. Après un premier film dans lequel la coscénariste de Cédric Jimenez cherchait encore ses marques, elle aborde ce sujet intime sans jamais laisser sa mise en scène prendre l’ascendant. Elle a l’extrême intelligence de montrer ce que le cinéma n’a que peu raconté : cette solitude des femmes face à leur corps dont il était moins question dans Une affaire de femmes (1988) de Claude Chabrol ou Vera Drake (2005) de Stephen Frears que dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2007) de Cristian Mungiu, l’un des cinéastes de référence d’Audrey Diwan.



Sandrine Bonnaire et Anamaria Vartolomei



Couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise, L’événement est un constat clinique implacable qui souligne l’ampleur d’un phénomène de société entretenu par l’aveuglement des autorités. Cette France gaullienne qu’Audrey Diwan observe comme à travers les eaux fangeuses d’un aquarium est l’exacte antithèse d’un film chatoyant comme Les parapluies de Cherbourg, alors même que Jacques Demy y filme lui aussi cette France provinciale figée depuis des décennies dont la jeunesse traumatisée par la Guerre d’Algérie n’a pas encore le courage de se révolter comme elle le fera en Mai 68. La réussite de L’événement repose pour une bonne part sur son casting impeccable qui fait la part belle au trio d’actrices miraculeuses formé par Anamaria Vartolomei, Luàna Bajrami et Louise Orry-Diquéro, en offrant des rôles brefs mais marquants à Sandrine Bonnaire (la mère), Anna Mouglalis (l’avorteuse) ou Pio Marmaï (le professeur). Non seulement l’alchimie fonctionne, mais la rigueur exemplaire d’Audrey Diwan lui confère la puissance lapidaire d’un constat impitoyable dont il est plus que jamais salutaire de rappeler que cette tragédie collective exclusivement féminine a laissé des traces indélébiles dans les corps comme dans les esprits.

Jean-Philippe Guerand







Anamaria Vartolomei

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