Film français de Jacques Audiard (2021), avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, Jehnny Beth, Annabelle Milot, Pol White, Lumina Wang, Camille Léon-Fucien… 1h45. Sortie le 3 novembre 2021.
Lucie Zhang et Makita Samba
Le treizième arrondissement de Paris reste sans doute l’un des moins souvent filmés au cinéma. Il contient pourtant en son cœur un monde à part : le quartier des Olympiades, épicentre de la communauté asiatique Rive Gauche qui fait pendant au quartier de Belleville Rive Droite. C’est là que Jacques Audiard circonscrit son nouvel opus sur le registre de l’étude de mœurs. Après deux exercices de style, Dheepan et Les frères Sisters, le réalisateur a décidé de renverser la table et de changer de collaborateurs. Ses coscénaristes Thomas Bidegain et Noé Debré ayant entre-temps été sollicités pour écrire Stillwater, il a fait appel à deux réalisatrices réputées pour la qualité de leur écriture : Céline Sciamma et Léa Mysius. La première a collaboré avec André Téchiné sur Quand on a 17 ans, la seconde poursuit une collaboration fertile avec Arnaud Desplechin. En s’échappant en si bonne compagnie de sa zone de confort habituelle, Jacques Audiard est revenu à l’essentiel : l’humain. Il dresse dans Les Olympiades les portraits de plusieurs habitants de ce quartier, sans pour autant jamais sombrer dans le pittoresque. En amoureux de Paris, il écoute battre son cœur à travers une galerie de personnages confrontés à des questionnements à la fois modernes et intemporels. Des jeunes gens d’aujourd’hui qui s’agitent comme des insectes grouillants dans une cité moderne et n’ont cure des barrières raciales et sexuelles. Avec quelques longueurs d’avance sur les mouvements #MeToo et Black Lives Matter. Des citoyens anonymes qui cultivent leurs différences à l’abri des immeubles bétonnés et n’aspirent qu’à se fondre dans la foule.
Sur le plan esthétique, Jacques Audiard a choisi une option radicale : le noir et blanc. Non par goût du rétro ou nostalgie d’un Paris disparu. Plutôt pour donner une acuité accrue à son propos solidement ancré dans la modernité. Il choisit pour cela de changer de chef opérateur, comme il en est coutumier, et fait cette fois appel à Paul Guilhaume, qui a notamment éclairé ses deux épisodes du “Bureau des légendes”, mais aussi les deux premiers films de sa coscénariste Léa Mysius et plusieurs documentaires de Sébastien Lifshitz dont Adolescentes et Petite fille. Là encore, en renversant la table, Jacques Audiard retrouve un snouveau souffle artistique bien venu qui sert son propos à merveille. Pas question pour lui de céder à la tentation de l’esthétisme. Autre composante déterminante : la bande originale aérienne confiée à Rone dont le cinéma s’est entiché depuis que La nuit venue lui a valu le César 2021. Ce représentant de l’école française de musique électronique n’a pas son pareil pour souligner une atmosphère. Quant à l’association de ces images et de ces accords, elle renforce singulièrement l’émotion que suscitent ces chassés croisés amoureux.
Noémie Merlant et Makita Samba
Les Olympiades ne constitue pas un coup de projecteur sur la communauté chinoise de l’arrondissement qui n’en est qu’une des composantes ethniques. Audiard s’y attache aux peines de cœur de deux filles et un garçon dont les destinées vont se croiser, se détacher et évoluer. Il tourne pour cela le dos au star-système traditionnel. Là encore pour régénérer son cinéma d’une vitalité nouvelle. Certes, Noémie Merlant n’est pas vraiment une inconnue, mais le scénario, tiré de trois nouvelles graphiques de l’auteur américain Adrian Tomine, la traite à égalité avec ses principaux partenaires, Lucie Zhang, Makita Samba et la chanteuse Jenny Beth, vue quant à elle dans le rôle de Christine Angot dans l’adaptation par Catherine Corsini d’Un amour impossible. C’est dire qu’Audiard se garde bien d’établir la moindre hiérarchie et choisit pour chacun de ses protagonistes l’interprète le plus juste. Avec comme corollaire l’idée que les personnages constituent le moteur de ce récit fragmenté et que leurs sentiments mènent ce joli monde. Un peu comme si le cinéaste écoutait battre le cœur d’un quartier à travers sa population interlope. Il dessine au passage sa propre carte du Tendre. Palpitante et sensible.
Noémie Merlant
Avec Les Olympiades, c’est comme si Jacques Audiard souhaitait brusquement remettre les pendules à l’heure et les compteurs à zéro. À un stade de sa carrière où il a connu tous les honneurs et vécu les expériences les plus improbables, de la Palme d’or de Dheepan au western avec Les frères Sisters, en passant par dix César dont quatre du meilleur scénario, trois du meilleur réalisateur et deux du meilleur film. Son dernier opus brille comme un diamant noir annonciateur d’une nouvelle ère dans son œuvre. Avec à la clé le désir de coller davantage à son époque en revenant aux fondamentaux qui lui ont si bien réussi par le passé. Le réalisateur a sans doute anticipé la routine qui le menaçait et a sus se renouveler en se transcendant, à travers de nouvelles collaborations techniques et artistiques. Avec à la clé un film solidement ancré dans un Paris éternel qui est toujours la « ville toute petite pour ceux qui s’aiment » sur laquelle s’extasiait Arletty dans Les enfants du paradis.
Jean-Philippe Guerand
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