Petrov's Flu Film franco-russo-germano-suisse de Kirill Serebrennikov (2020), avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuri Borisov, Yuliya Peresild, Yuri Kolokolnikov, Aleksandra Revenko, Timofei Tribuntsev… 2h25. Sortie le 1er décembre 2021.
Une nuit d’ivresse, Petrov part à la dérive avec un camarade et voit surgir les démons qui le hantent. Au point d’en venir à être incapable de distinguer la réalité de ses fantasmes et de s’enfoncer dans un délire qui va le renvoyer à ses origines. Kirill Serebrennikov est un cinéaste visionnaire comme les honnissent les régimes autoritaires. D’où les attaques qu’il a subies de la part de l’État russe pour sa gestion supposée douteuse de la compagnie théâtrale qu’il dirigeait et qui l’ont conduit à être emprisonné, donc réduit théoriquement au silence, puis assigné à résidence avec interdiction de sortir du pays. C’était compter sans la capacité de résistance du metteur en scène et le poids de ses soutiens internationaux qui n’ont jamais baissé les bras pour le faire relâcher et innocenter des charges de détournement de fonds publics qui pèsent contre lui, mais ne sont toutefois pas parvenus à le faire venir en Occident pour défendre ses deux derniers films.
La fièvre de Petrov se présente en cela comme un jeu de piste éblouissant ponctué çà et là de réflexions sur l’état de déréliction d’une société russe contemporaine dans laquelle l’ivresse constitue le plus sûr remède contre la colère. La séquence d’ouverture donne d’ailleurs le ton du film. Encore sobre, mais atteint d’une fièvre carabinée, Petrov côtoie dans le bus des passagers qui échangent des piques à l’encontre du pouvoir en place, en stigmatisant une décadence inéluctable, sans exalter pour autant l’ère communiste. Le message subliminal du film est infiniment plus subtil que cela. Serebrennikov est un metteur en scène qui croit à la force du cinéma et maîtrise ses moindres composantes visuelles et sonores. Après avoir dépeint dans Le disciple (2016) le pouvoir de nuisance d’un gourou en milieu scolaire et s’être livré dans Leto (2018) à un pèlerinage en noir et blanc au début des années 80 parmi la scène rock de l’Union soviétique, à travers un biopic onirique du chanteur Viktor Tsoï, il s’attaque dans La fièvre de Petrov à une réflexion mélancolique sur ce qu’est devenu son pays, à travers ses illusions perdues et l’exaltation d’un bonheur ô combien illusoire. Avec davantage de regrets que de remords.
Jean-Philippe Guerand
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