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“Compartiment n°6” de Juho Kuosmanen




Hytti nro 6 Film finlando-russo-estono-allemand de Juho Kuosmanen (2020), avec Seidi Haarla, Yuri Borisov, Dinara Drukarova, Yulia Aug, Lidia Kostina, Tomi Alatalo, Viktor Chuprov… 1h47. Sortie le 3 novembre 2021.



Seidi Haarla et Yuri Borisov



Le cinéma emprunte parfois des voies de traverse inattendues. En 1996, au terme d’un séjour linguistique en Russie, une étudiante finlandaise embarque à bord d’un train qui relie Moscou à Mourmansk afin d’aller visiter un site archéologique dont on lui a vanté les merveilles géologiques. Contrainte de partager son compartiment avec un ouvrier grossier, elle le prend en grippe, jusqu’au moment où les circonstances et d’autres rencontres vont la faire changer radicalement d’avis sur ce compagnon de fortune auquel tout semblait l’opposer. Cette plongée dans la période post-Glasnost fertile en surprises s’inspire d’un roman de Rosa Likson publié en 2010 avec lequel le cinéaste prend de nombreuses libertés, notamment en modifiant les caractéristiques des personnages, mais aussi l’itinéraire qu’ils parcourent et en transposant l’action de l’Union soviétique à la Russie. La puissance du propos ne s’en trouve pas altérée pour autant, car c’est avant tout à ses deux protagonistes principaux que s’attache le réalisateur qui adopte délibérément le point de vue de son héroïne et filme la Russie à travers son regard de jeune étrangère au tournant de la vie sur un monde condamné à court terme. Un propos singulier et pluriel qui a valu à ce road movie le Grand Prix du festival de Cannes.






Remarqué pour son premier film, Olli Mäki, lauréat du prix Un certain regard en 2016, Juho Kuosmanen observe ses protagonistes avec une empathie qui ne doit rien au calcul, sans jamais les juger. Il nous offre ici une bouffée de nostalgie plus enivrante qu’aucun film soviétique aurait été à même d’en distiller. Parce qu’à chaud, les préoccupations n’étaient pas tout à fait les mêmes. Il signe un film d’autant plus touchant qu’il s’achève sur des points de suspension. Avec cette ivresse de la métamorphose qui implique que juste en se croisant, ces jeunes gens verront leur existence bouleversée par cette brève rencontre. Le sens de l’observation du réalisateur passe par une foule de détails passionnants, comme cette séquence dans laquelle une famille modeste débarque dans le wagon-restaurant pour commander, trop heureuse de pouvoir accéder à un privilège qui lui était sans doute interdit du temps de l’URSS. Ici s’exerce la finesse du cinéaste qui distingue les enfants de leur mère à travers la spontanéité de leur réaction. Avec en guise de leitmotiv un tube surgi du passé et venu d’ailleurs : Voyage voyage de Desireless. Une chanson qui patine ce flash-back et qu’on entend simultanément dans le film québécois La déesse des mouches à feu, également à l’affiche cette semaine, mais dans un tout autre contexte.

Jean-Philippe Guerand







Seidi Haarla et Yuri Borisov



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