Film iranien de Shahram Mokri (2020), avec Babak Karimi, Razie Mansori, Abolfazi Kahani, Mohamad Sareban, Adel Yaraghi, Behzad Dorani, Mahmoud Behraznia… 2h14. Sortie le 3 novembre 2021.
Voici un film qui ne cherche pas vraiment la facilité. Sous prétexte d’évoquer un incendie criminel survenu en 1978 (l’année de sa naissance) dans le cinéma Rex d’Abadan qui aurait été l’un des premiers signes annonciateurs de la révolution iranienne, Shakram Mokri fracture son récit en plusieurs modules qui se télescopent et s’interpénètrent jusqu’à composer une sorte de requiem symboliste qui finit par montrer un écran dans un écran dans un écran, comme une mise en abyme absurde. À partir de ce fait divers controversé qui a provoqué près de cinq cents victimes et a été attribué par certains observateurs à des agents à la solde du pouvoir, par d’autres à des insurgés, Careless Crime se présente en fait comme une élégie du cinéma et un plaidoyer en faveur du droit de rêver dans un monde terriblement matérialiste. Avec au cœur de cet étrange voyage un classique du cinéma iranien : Gavaznha (1974) de Masoud Kimiai qui dénonce les ravages de la drogue dans une société trop permissive. L’interprétation politique du film s’avère donc déterminante.
Careless Crime s’inscrit délibérément dans une sorte de zone de non droit underground du cinéma iranien dont le réalisateur Shakram Mokri est l’un des plus célèbres représentants, au même titre que Christophe Karabache occupe cette position inconfortable au sein du cinéma libanais. On y suit quatre individus sur le point de commettre un attentat. Des citoyens comme les autres manipulés par des commanditaires qui considèrent le cinéma comme un outil de perversion à proscrire en priorité par des ayatollahs qui ne font en fait qu’inverser la fameuse maxime de Karl Marx selon laquelle « la religion est l’opium du peuple ». En prêtant ce pouvoir au septième art, le film constitue aussi une déclaration d’amour de la part d’un cinéaste qui décline sa réflexion sur plusieurs niveaux, sans pour autant adopter une posture politique véritablement tranchée. Il convient de préciser ici que son passé plaide pour lui, ainsi que l’attestent ses deux précédents films distribués en France : Fish and Cat (2013), film gore raconté en un seul plan, mais ponctué d’allers-retours temporels audacieux, et Invasion (2017), un polar pour le moins atypique. C’est dire combien Mokri possède l’art et la manière de dérouter et de disrupter pour faire passer un message subliminal.
Jean-Philippe Guerand
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