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“Pleasure” de Ninja Thyberg




Film suédo-hollando-franco-américain de Ninja Thyberg (2019), avec Sofia Kappel, Kendra Spade, Revika Anne Reustle, Evelyn Claire, Dana de Armond, Chris Cock, Jason Toler, Mark Spiegler, Kasia Szarek… 1h45. Sortie le 20 octobre 2021.






Une jeune Suédoise s’installe à Los Angeles afin d’y faire carrière dans le cinéma porno. Un sujet ô combien délicat à l’ère du mouvement #MeToo qui aurait sans doute donné lieu à une vive polémique s’il avait été abordé par un homme. La réalisatrice Ninja Thyberg, qui avait déjà tourné un court métrage sous le même titre dès 2013 et a obtenu le prix du jury au festival de Deauville, s’en empare sans tabou ni pudeur. Pas question pour elle d’éviter les questions qui fâchent. Elle choisit pour personnage principal une jeune femme ambitieuse et passablement déterminée à réussir à tout prix dans cet univers glauque et crapoteux. L’industrie du cinéma pornographique californien que décrit Pleasure n’a que peu à voir avec celle mise en scène par Paul Thomas Anderson dans Boogie Nights (1997), situé au tournant des années 70 et 80, et encore moins avec la vision qu’en donnait John Byrum dans Gros plan (1975), qui se déroulait quant à lui à l’aube du parlant. Ici, le rituel cinématographique a disparu au profit d’un ordonnancement clinique dépourvu d’états d’âme, des scénarios qui recyclent des figures imposées de la sexualité et des tournages expédiés comme des mécaniques de précision à un rythme d’enfer. Les hommes et les femmes y sont quant à eux réduits à l’état de chair désincarnée et chargés d’assouvir un déroulé de fantasmes.






Le parti pris de Ninja Thyberg est de choisir pour guide sur ces sentiers de la perdition pavés de mauvaises intentions une jeune femme déterminée à réussir, quitte à se perdre. Un rôle interprété par une inconnue habitée par son rôle, Sofia Kappel, qui l’a abordé comme une véritable thérapie. La réalisatrice la présente davantage comme une conquérante aveuglée que comme une victime consentante. Jusqu’au moment où elle réalise qu’elle ne fait que contribuer à alimenter une industrie qui ne la rendra jamais ni riche ni célèbre, mais aura contribué à détruire ses ultimes illusions. Le constat est amer, la mise en scène implacable car elle ne se dérobe jamais devant ses responsabilités, notamment lorsqu’il s’agit de décrire l’engrenage qui mène de la soumission à l’humiliation, puis à la désincarnation. Elle fonctionne comme un laminoir de précision qui montre comment cette industrie écrase les individus au profit d’une cause proche de l’esclavagisme où la seule échappatoire pour les victimes consiste à se transformer à leur tour en bourreaux par pur instinct de survie. Malgré son titre ironique, Pleasure est un voyage au bout de l’enfer aussi glacial qu’implacable dont on ne peut par émerger tout à fait indemne.

Jean-Philippe Guerand







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