Wolfwalkers Film irlando-américano-luxembourgeois de Tomm Moore et Ross Stewart (2020), avec (voix) Lévanah Solomon, Lana Ropion, Serge Biavan… 1h43. Sortie le 20 octobre 2021.
Dans l’Irlande sauvage du XVIIe siècle, aloors que les Anglais tentent de mettre ce territoire en coupe réglée et rase les forêts pour en chasser les loups, une gamine effrontée décide d’adopter le parti des animaux sauvages et de lutter à leurs côtés. Remarqué pour deux longs métrages d’une grande poésie traversés en outre d’un souffle écologique novateur, Brendan et le secret de Kells (2009) et Le chant de la mer (2014), Tom Moore signe avec Le peuple loup une merveille absolue, en prenant à rebours l’imagerie du grand méchant loup perpétuée par les contes de fées et le cinéma d’animation. Il assimile en outre la lutte de ces animaux pour leur survie au combat des Irlandais pour leur autonomie, en soulignant que le salut réside dans l’ouverture aux autres et la curiosité qui consiste à se lancer à la découverte du monde. Ce message profondément humaniste passe ici par un graphisme singulier qui nous transporte dans un univers vraiment dépaysant. Tom Moore cite parmi ses références l’école d’animation d’Europe de l’Est qui a bercé sa jeunesse et s’imprègne ici d’une esthétique singulière qui puise autant parmi la tradition celtique que chez ces pionniers de l’art nouveau que furent l’autrichien Gustave Klimt et le tchèque Alphonse Mucha par leur approche géométrique.
Le peuple loup est un film profondément envoûtant qui trace son propre sillon et assume son caractère médiéval. Les personnages y affichent leur caractère sur leur visage sans sacrifier au dogme de la beauté universelle comme c’est le cas dans tant de films d’animation. Il y a chez Tom Moore et son acolyte Ross Stewart, qui fut le directeur artistique de ses deux premiers longs métrages, un sens du grotesque qui évoque à la fois Rabelais pour sa folie baroque et l’illustrateur Tomi Ungerer pour son art de la démesure. Ce film possède une qualité rare qui lui donne tout son prix : il ne cherche pas systématiquement à plaire à tout le monde. Il préfère nous entraîner dans son bestiaire fantastique et s’autoriser des échappées vers un imaginaire qui n’est pas toujours merveilleux. En d’autres termes, il ne caresse jamais les enfants dans le sens du poil et fonctionne comme une invitation au rêve… donc aussi au cauchemar qui s’adresse d’ailleurs autant aux adultes. Pour peu que ceux-ci aient conservé leur capacité de se laisser aller dans un monde vraiment à part où tout semble possible, y compris que certains êtres soient au croisement de deux espèces que tout semble opposer, dans un monde où l’homme reste plus que jamais un loup pour l’homme, mais plus encore pour les loups. Le message est limpide.
Jean-Philippe Guerand
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