Documentaire français d’Alexandra Pianelli (2020) 1h16. Sortie le 6 octobre 2021.
L’idée de départ est assez partagée dans le documentaire contemporain. La miniaturisation des caméras n’a fait qu’accélérer sa mise en œuvre. Il s’agit de témoigner au jour le jour de mouvements intimes et anodins qui vont revêtir une épaisseur véritable sur la durée. Un peu comme si l’on s’amusait à monter des extraits des enregistrements d’une caméra de surveillance. Récemment, Samuel Bigiaoui a ainsi filmé le départ à la retraite de son père, droguiste place Maubert, dans le très touchant 68, mon père et les clous (2017). Avec en filigrane des considérations plus vastes. À cette nuance près qu’ici, sous prétexte de jouer à la marchande pour aider sa mère, Alexandra Pianelli s’installe dans le kiosque à journaux tenu par sa famille depuis des lustres et décrit le ballet quotidien qui s’y déroule, en filmant les habitués qui vont, qui viennent et qui s’attardent, mais aussi les passants qui égrènent des réflexions anodines et des considérations parfois frappées au coin du bon sens sur à peu près tous les sujets. Au fil des jours vient à affleurer une autre vérité : les clients sont de moins en moins nombreux et la presse écrite se trouve en danger de mort. L’issue est aussi proche qu’inéluctable, mais ça, Alexandra Pianelli ne l’avait pas anticipé en laissant le réel envahir ce film envisagé comme un devoir de mémoire a priori plutôt insouciant.
Ce kiosque situé à un emplacement stratégique de la vie parisienne, au cœur du seizième arrondissement, c’est une sorte d’équivalent du café du commerce en miniature. Un espace minuscule qui attire les bavards et les esseulés, tant il recèle de trésors cachés. Une sorte de tour de babel qui rassemble des dizaines de publications et donne lieu à un inlassable ballet, au fil des livraisons et des retours. Avec en filigrane un malaise grandissant : celui de la crise de la presse dont le coup de grâce a été asséné par la faillite du distributeur Presstalis, l’héritier des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). Il y a les documentaires écrits qui soutiennent une thèse et ceux qui avancent au gré des événements et des impondérables. Le kiosque appartient à la seconde catégorie, mais réussit à maintenir l’intérêt en permanence à travers ces petits riens qui nourrissent son activité et altèrent peu à peu sa fréquentation. C’est la synecdoque d’un monde à l’agonie : celui des lecteurs qui préfèrent les mots aux images et les journaux aux chaînes info, mais aussi qui acceptent de payer pour ce qui leur est parfois offert gratuitement ailleurs. Pour eux, la marche du monde n’est pas négociable. Ce film attachant sonne le glas d’une époque, en perpétuant la meilleure tradition du documentaire.
Jean-Philippe Guerand
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