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“Tout s’est bien passé” de François Ozon




Film français de François Ozon (2021), avec Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas, Charlotte Rampling, Hannah Schygulla, Grégory Gadebois, Eric Caravaca, Laëtitia Clément… 1h53. Sortie le 22 septembre 2021.



Géraldine Paiilhas et Sophie Marceau



Présenté en compétition au dernier festival de Cannes, Tout s’est bien passé est tiré du récit homonyme (Grand Prix des Lectrices de “Elle” de l’essai en 2014) consacré par la romancière Emmanuèle Bernheim à la fin de vie de son père, le collectionneur d’art André Bernheim. Une histoire douloureuse que devait initialement porter à l’écran Alain Cavalier et dont celui-ci a évoqué la genèse dans son documentaire Être vivant et le savoir (2019). Décédée en mai 2017 à l’âge de 61 ans, la compagne de Serge Toubiana a collaboré à l’écriture de trois films de François Ozon : Sous le sable (2000), Swimming Pool (2003) et 5x2 (2004). C’est dire combien le réalisateur paraissait légitime pour se lancer dans cette aventure périlleuse qui associe au devoir de mémoire l’évocation d’un sujet de société ô combien tabou : l’euthanasie qu’a également abordé Stéphane Brizé dans Quelques heures de printemps (2012).



Géraldine Paiilhas et Sophie Marceau



« Tout s’est bien passé. » Ce message laconique est celui que laisse sur le répondeur téléphonique d’Emmanuèle une femme à l’accent suisse prononcé. Cette mystérieuse correspondante s’est chargée d’accompagner son père André Bernheim vers le trépas, comme l’autorise la Communauté helvétique. Une pratique interdite en France où la “mort assistée” reste un sujet hautement polémique. Ainsi s’achève le film tiré par François Ozon du livre autobiographique consacré à la fin de vie de son père par celle qui fut sa coscénariste à trois reprises. Un projet sur lequel la romancière avait travaillé initialement avec un autre réalisateur, Alain Cavalier, avant d’être elle-même emportée par un cancer du poumon foudroyant en mai 2017, à l’âge de 61 ans. Celui-ci en a par ailleurs évoqué la genèse en 2019 dans un documentaire bouleversant intitulé Être vivant et le savoir.



Géraldine Paiilhas, Hannah Schygulla et Sophie Marceau



Elles sont deux sœurs, Emmanuèle et Pascale, contraintes de veiller sur leur père acariâtre à la place de leur mère, sculptrice cadenassée dans un mutisme dont on ne sait s’il est pathologique ou… volontaire. Une rude épreuve qui relève du chantage affectif, tant le vieil homme s’ingénie à manipuler son entourage en jouant les malades imaginaires avec une perversité diabolique. Certes, il a bel et bien été victime d’un accident vasculaire cérébral qui l’a laissé diminué, mais il abuse volontiers de la situation, à la fois pour jauger de son pouvoir d’influence et attirer la compassion. Dès lors, tout l’art de François Ozon consiste à arbitrer ce combat de dupes, en le carapaçonnant dans une sorte de distribution idéale. Face aux sœurs incarnées avec une grande complicité par Sophie Marceau et Géraldine Pailhas, qui débutèrent l’une et l’autre adolescentes devant la caméra de Claude Pinoteau, le cinéaste confie le rôle du vieillard indigne à André Dussollier qui s’en régale et le montre. Sa composition relève du jeu le plus pur. Elle évoque celle d’Harry Baur dans Volpone (1941) de Maurice Tourneur. C’est celle d’un chat qui joue avec des souris pour mieux les torturer.



Géraldine Paiilhas, André Dussollier et Sophie Marceau



Visiblement inspiré par son sujet, Ozon a creusé chacun de ses protagonistes avec un soin particulier. Il sait que c’était là la pierre angulaire de ce film ô combien délicat qui s’offre le luxe de ménager des intermèdes de pure comédie au sein d’un sujet particulièrement tragique. Jamais pourtant il ne se dérobe devant ses responsabilités. Il essaie juste de rendre tolérable une thématique qui incite bien peu à la légèreté. De même, il brouille habilement les cartes du manichéisme sans surcharger le père par rapport à son entourage, même s’il ne nous cache pas que cet homme est un mari indigne qui a laissé son épouse devenue mutique. Un rôle particulièrement ingrat que Charlotte Rampling incarne pratiquement sans parler, elle qui fut la veuve inoubliable de Sous le sable (2000) du même Ozon. De même pour Grégory Gadebois dans un emploi incroyable de mignon qui n’a besoin que de quelques plans pour donner chair à un ectoplasme surnommé sans charité par les filles de son amant… “Grosse merde”.



Sophie Marceau et André Dussollier



Cette histoire authentique respecte le point de vue sévère d’Emmanuèle Bernheim sur son père. C’est l’hommage que rend François Ozon à son amie, au risque de sacrifier l’empathie que pourrait susciter la situation de son père. André Dussollier ne fait quant à lui qu’une bouchée de son personnage qu’il accable sans modération. Sa première apparition est à ce titre époustouflante. L’homme semble diminué et grimace à l’envi. Jusqu’au moment où il laisse échapper une vacherie qui démontre qu’il n’a rien perdu de sa pugnacité. Dès lors, il ne va faire que reprendre du poil de la bête et entreprendre de faire souffler le chaud et le froid sur ses proches en demandant à mourir, tout en goûtant jusqu’au bout aux plus doux plaisirs de la vie. Ici intervient la prouesse de l’acteur conscient de sa responsabilité qui interprète son rôle sans craindre de le charger, mais avec aussi une envie légitime de jauger de son réel pouvoir de séduction.



Sophie Marceau



Malgré la gravité extrême de son sujet, Tout s’est bien passé n’est ni un film solennel, ni un requiem désespéré. C’est plutôt une sorte de chronique d’une mort annoncée qui nous confronte tous à cette éventualité ultime, à travers un personnage qui n’a vraiment rien pour être plein, mais dont son entourage va s’ingénier à exécuter la dernière volonté. C’est un film courageux qui prend le risque de déplaire ou de provoquer des réactions épidermiques de la part de ses spectateurs, tant il aborde sur un mode réaliste une situation à laquelle nous risquons tous de nous retrouver confrontés. En posant cette question extrême : sommes-nous obligés d’aimer nos parents de façon unilatérale et absolue ? La réponse est loin d’être évidente.

Jean-Philippe Guerand








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