Accéder au contenu principal

“Les intranquilles” de Joachim Lafosse




Film belgo-franco-luxembourgeois de Joachim Lafosse (2021), avec Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah, Patrick Descamps, Jules Waringo, Alexandre Gavras, Joël Delsaut, Dani Iffland-Stettner… 1h58. Sortie le 29 septembre 2021.



Leïla Bekhti et Damien Bonnard



Disons-le en préambule, ce film est l’un des premiers à intégrer la pandémie de Covid-19 à son propos, sans que cet élément soit cependant moteur dans son récit. Son contexte est sans doute suffisamment pesant pour que Joachim Lafosse n’ait pas éprouvé le besoin de le surcharger. Dans une maison isolée vit le couple formé par un peintre à la stature de colosse et sa compagne, avec leur petit garçon. Contrairement aux apparences, c’est la frêle Leïla qui protège Damien, en proie à un syndrome maniaco-dépressif qui le ronge à petit feu. Leur vie de reclus est en quelque sorte un enfer pavé de mauvaises intentions où l’amour agit comme un remède apaisant mais éphémère, quand une crise arrive. Toujours sensible aux dérèglements psychologiques qui viennent parfois fracasser les grands sentiments, le réalisateur belge d’À perdre la raison (2012) s’inspire là de la personnalité de son propre père dont les ambitions de photographe ont été entravées par la maladie et l’ont contraint à immortaliser des tableaux au lieu des portraits dont il avait rêvé.



Damien Bonnard et Leïla Bekhti



Fidèle à ses principes, Joachim Lafosse a adapté son film à ses interprètes. Au point que quand Leïla Bekhti et Damien Bonnard ont remplacé Jasmine Trinca et Matthias Schoenaerts initialement pressentis, il a décidé de donner aux personnages les prénoms de leurs interprètes et immergé son personnage masculin dans l’atelier du peintre Piet Raemdonck, en exploitant le fait que le comédien avait lui-même étudié aux beaux-arts. Ce travail en prise étroite avec le réel donne au film une vérité exceptionnelle qui s’accorde avec la fièvre de ce personnage en proie à des démons qu’il n’arrive pas toujours à maîtriser. La mise en scène enserre dans sa toile ce couple en danger avec autant de pudeur que d’intimité et s’attache à sa lente descente aux enfers sans la moindre complaisance, avec cette menace qui rôde insidieusement. Les intranquilles porte bien son titre par le climat oppressant qu’il instaure, mais ne nous laisse jamais vraiment de répit, à travers une situation sans issue. C’est une expérience pour le moins inconfortable dont on émerge passablement groggy. Un peu comme si l’on avait veillé pendant deux heures un malade en phase terminale dont les chances de répit sont infimes.

Jean-Philippe Guerand

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la violence. En outre, c’était

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract