Film franco-canado-ivoiro-sénégalais de Philippe Lacôte (2020), avec Bakary Koné, Steve Tientcheu, Digbeu Jean Cyrille, Rasmané Ouédraogo, Issaka Sawadogo, Abdoul Karim Konaté, Denis Lavant… 1h33. Sortie le 8 septembre 2021.
C’est une tragédie de Shakespeare qui se déroule dans un lieu de perdition situé en plein cœur de l’Afrique. La nuit des rois prend en l’occurrence pour cadre la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan. Une prison surpeuplée sur laquelle règne un caïd vieillissant dont le pouvoir semble compromis à brève échéance. Alors, dans un ultime réflexe de survie, ce sage rompu aux mauvais coups décide de renouer avec un rituel qui consiste pour un détenu à raconter des histoires à ses camarades d’infortune pendant toute une nuit. Ce cadre, le réalisateur Philippe Lacôte le connaît d’autant mieux que sa mère y a été détenue en tant qu’opposante politique au président Houphouët-Boigny et qu’il est allé lui rendre visite régulièrement lorsqu’il était enfant. Le tournage y étant impossible, le réalisateur l’a fait reconstruire en y faisant disposer des fresques murales vue dans diverses prisons d’Afrique, avec l’idée de décrire le milieu carcéral comme une société autonome qui répond à un mode de fonctionnement autonome.
La nuit des rois s’inscrit dans la plus pure tradition des récits colportés par les griots africains, tout en puisant certaines de ses références parmi la réalité contemporaine de la Côte d’Ivoire. Sur le plan formel, la réalisation s’articule autour d’un dispositif spécifique au documentaire afin de coller au plus près aux protagonistes de cette cour des miracles régie par ses propres lois. Alors que le présent est filmé caméra à l’épaule en recyclant les codes du cinéma-vérité, les flash-back sont traités de façon beaucoup plus sophistiquée dans des cadres qui contrastent délibérément avec l’enfermement carcéral. Transfuge du journalisme radiophonique rompu à l’art du documentaire, Philippe Lacôte confirme avec cette Nuit des rois tous les espoirs qu’avait fait naître son film précédent, Run, présenté à Cannes en 2014. En laissant du temps au temps, mais aussi en mêlant à des “natures” extraverties des acteurs confirmés, il brode une fresque foisonnante qu’on peut considérer comme un microcosme d’une Afrique contemporaine en ébullition qui s’accroche désespérément à ses racines, mais n’aspire en fait qu’aux tentations du monde moderne. Le conte est bon.
Jean-Philippe Guerand
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