Film français de Christophe Honoré (2021), avec Claude Mathieu, Anne Kessler, Éric Génovèse, Florence Viala, Elsa Lepoivre, Julie Sicard, Loïc Corbery, Serge Bagdassarian, Gilles David, Laurent Lafitte, Dominique Blanc, Léolo Victor-Pujebet… 2h19. Sortie le 29 septembre 2021.
Singulière initiative que celle de Christophe Honoré qui s’appuie sur l’annulation d’un spectacle provoquée par la pandémie de Covid-19 pour en tirer un faux documentaire qui en explore les conséquences sur la troupe de la Comédie Française embarquée dans une folle aventure : monter un texte de Marcel Proust à la scène avec tous les pièges que cela implique. Dix jours d’un travail intense effectué en quasi-huis clos au lendemain du premier confinement qui s’appuie sur un cadre assez lâche pour favoriser la spontanéité de ses interprètes. Le résultat est aussi déroutant que séduisant. Il offre la possibilité d’admirer des comédiens en liberté qui esquissent les contours d’un spectacle mort-né et campent dans leur théâtre, comme pour se protéger du monde alentour. Jusqu’au moment où ils se décident à émerger de leur bulle pour se retrouver tous ensemble dans une chambre du Ritz devenue la cabine des Marx Brothers afin d’y déguster le plat de prédilection de l’écrivain. Comme pour transformer ses mots en sensations et en émotions.
Guermantes est un film en liberté surveillée, diffusé en primeur sur France 5 cinq jours avant sa sortie en salle, sans grand tapage, qui distille une réflexion passionnante sur l’art dramatique et l'élite de ses serviteurs les plus zélés. Christophe Honoré s’y aventure dans un univers particulièrement codifié, la Comédie Française, tout en incitant ses interprètes à s’affranchir des contraintes imposées. Ils en viennent ainsi à s’identifier à leurs personnages et à réfléchir sur leur esprit de troupe. C’est un témoignage puissant sur le fonctionnement interne d’une institution régie par des règles strictes dont la plupart des membres s’évadent régulièrement pour goûter à une fantaisie alternative, notamment au cinéma. La mise en scène joue de cette dualité en soulignant l’une des caractéristiques de la prestigieuse maison de Molière : son égalité de traitement. Aucun régime de faveur ici. Qu’il s’agisse de Laurent Lafitte ou de Dominique Blanc, ils sont les égaux de leurs pairs avec lesquels ils forment un ensemble idéal. Pas une tête ne dépasse. Des décombres d’une frustration imposée, Christophe Honoré (qui joue lui aussi son rôle, sans en tirer la moindre vanité) confectionne un succès narratif et nous donne à voir la fine fleur de la scène française dans un exercice d’improvisation assez bluffant qui justifie à lui seul l’expression de “spectacle vivant”, et même… palpitant !
Jean-Philippe Guerand
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