Om det oändliga Film suédo-germano-norvégien de Roy Andersson (2019), avec Martin Serner, Tatiana Delaunay, Anders Hellström, Jan-Eje Ferling, Bent Bergius, Thore Flygel, Ania Nova, Lesley Leichtweis Bernardi… 1h16. Sortie le 4 août 2021.
Roy Andersson occupe d’ores et déjà une place bien à part dans l’histoire du cinéma. Ne serait-ce que parce qu’il est l’un des derniers authentiques artisans du septième art. Ce stakhanoviste de la pub a en effet mis les ressources de cette activité hautement lucrative au service d’une série de longs métrages conçus et réalisés dans des conditions atypiques. Il a renoncé au lendemain de ses deux premiers opus, A Swedish Love Story (1970) et Giliap (1975), à s’appuyer sur des histoires linéaires pour assembler les unes aux autres des vignettes qui reflètent sa philosophie désabusée de la vie, le plus souvent dans des camaïeux de gris, de vert et de bleu, sculptés hier par Jesper Klevenås, István Borbás et Gustav Danielsson, aujourd’hui par Gergely Pálos, dans un souci de renouveler les générations. Un parti pris narratif le plus souvent affranchi de dialogue qui lui permet d’échelonner la fabrication de ses films sur des durées atypiques et de s’affranchir des contraintes économiques en tournant dans ses propres studios dès que ses moyens le lui permettent. Cette méthode unique a engendré à ce jour quatre longs métrages après une éclipse d’un quart de siècle : Chansons du deuxième étage, Prix du jury à Cannes en l’an 2000, Nous, les vivants (2007), Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence, Lion d’or à Venise en 2014, et Pour l’éternité, Lion d’argent de la mise en scène à la Mostra 2019.
Les films de Roy Andersson ressemblent à des tableaux vivants dont chaque détail revêt une importance particulière, tout en s’inscrivant dans une continuité dont lui seul connaît la logique. On les revoit comme ceux de Jacques Tati, en remarquant à chaque fois un détail qui nous avait échappé. Le réalisateur y met en scène des tragédies humaines qu’il contemple d’un regard narquois. Dans Pour l’éternité, il assemble des saynètes anodines avec des allusions historiques, sans que les unes ne paraissent en rien plus chargées de sens que les autres. C’est toute la folie du monde qu’il expose en abolissant la notion même d’espace-temps. À l’instar de ce pauvre type traînant une lourde croix dans les rues sous les quolibets de la population et les coups de fouet de ses tourmenteurs. Une image d’ailleurs récurrente dans l’œuvre d’un artiste ennemi de l’instinct grégaire et de ses réactions de masse. Il y a toujours un sens caché derrière ces représentations absurdes qui prêtent souvent à pleurer autant qu’à rire. Mais jamais Andersson ne conditionne notre regard. Il se contente de montrer et nous invite à méditer. Malgré une date de sortie plusieurs fois décalée qui va le sous-exposer au regard de ses inconditionnels, Pour l’éternité est un joyeux joyau où tout semble possible, y compris qu’un couple d’amoureux vole au-dessus des villes…
Jean-Philippe Guerand
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