Film franco-belgo-libanais de Danielle Arbid (2020), avec Laetitia Dosch, Sergeï Polunin, Lou-Teymour Thion, Caroline Ducey, Grégoire Colin, Slimane Dazi, Elina Löwensohn… 1h39. Sortie le 11 août 2021.
Sergeï Polunin et Laetitia Dosch
Il est étonnant de constater à quel point le cinéma s’est trop longtemps tenu à distance de la littérature d’Annie Ernaux. Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic ont adapté son roman L’Occupation dans L’autre (2008) et L’événement vient de faire l’objet d’un film homonyme signé Audrey Diwan qui sera présenté en compétition à la Mostra de Venise en septembre. Son regard sur les choses de l’amour est pourtant parmi les plus novateurs qui soient, parce qu’elle y passe des éléments autobiographiques au crible de la sociologie, en confrontant des situations vécues dans sa chair à l’évolution des mœurs. Derrière son titre modeste, Passion simple, publié en 1992, s’attache à une situation singulière, mais rarement abordée à l’écrit comme à l’écran. Une mère célibataire y entretient une liaison torride avec un homme d’affaires russe qu’elle ne retrouve qu’irrégulièrement pour des étreintes purement charnelles, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi elle ne s’investit pas davantage dans cette liaison. L’explication réside sans doute dans cette déclaration d’intention selon laquelle le sujet, aussi intime soit-il doit s’exprimer « sans jugement, sans métaphore, sans comparaison romanesque ». C’est très exactement l’objectif qu’a poursuivi la réalisatrice libanaise Danielle Arbid en s’emparant de ce texte.
Laetitia Dosch et Sergeï Polunin
Passion simple porte un regard atypique sur l’amour en prêtant à un personnage féminin des sentiments qui sont généralement associés aux hommes. Hélène a choisi d’aimer sans attaches Alexandre, un homme marié qui ne peut rien lui promettre de définitif et dont elle ne semble rien attendre de particulier hormis qu’il la fasse jouir. Alors comme il faut que le corps exulte, elle s’offre des intermèdes sans lendemain, mais passe le plus clair de son temps en compagnie de Paul, le petit garçon qu’elle élève seule. Cette femme libre s’inscrit en quelque sorte dans le prolongement direct de celui mis en scène dans le film précédent de la réalisatrice, Peur de rien (2015) qui s’attachait à l’apprentissage amoureux d’une jeune étudiante installée à Paris. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait trouvé dans la prose d’Annie Ernaux un écho à ses propres préoccupations. Cette dernière en a puisé l’inspiration dans son expérience personnelle et a écrit Passion simple à la cinquantaine, c’est-à-dire au même âge que la réalisatrice s’en est emparée. Un jeu de miroirs qui confère à cette adaptation une troublante vraisemblance psychologique.
Sergeï Polunin et Laetitia Dosch
Si la notion de film de femme possède un sens quelconque, cette chronique intime semble en constituer une illustration particulièrement pertinente, Danielle Arbid ayant vu la plupart de ses œuvres interdites au Liban et s’étant élevée contre la censure qui y règne. La vision que donne de l’amour Passion simple tranche une fois de plus avec les codes traditionnels en vigueur, en s'appuyant sur le personnage carapaçonné de fêlures qu'incarne l'excellente Laetitia Dosch dans une sorte de prolongement du rôle de marginale qui l'a rendue célèbre dans Jeune femme (2017) de Léonor Serraille. Elle n’est assujettie à aucun sentimentalisme primaire, mais à des pulsions qu’on pourrait qualifier d’épidermiques. L’une des plus éclatantes réussites de ce film labellisé sélection officielle Cannes 2020 consiste à mettre en scène un personnage masculin dont on ne sait quasiment rien, sinon qu’il remplit à merveille sa fonction d’étalon et se manifeste quand ses obligations lui en laissent le loisir. C’est une sorte d’homme-objet affranchi d’états d’âme dont la vie est un secret bien gardé, à l’exception notable d’un voyage dont le film ne retient que quelques cartes postales photogéniques.
Jean-Philippe Guerand
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