Accéder au contenu principal

“France” de Bruno Dumont




Film français de Bruno Dumont (2020), avec Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay, Emanuele Arioli, Gaëtan Amiel, Juliane Köhler, Nathalie Boyer… 2h14. Sortie le 25 août 2021.



Léa Seydoux



France de Meurs est un spécimen rare sinon unique : une star des chaînes info réputée par ailleurs pour ses reportages à chaud sur les champs de bataille. Son mari est quant à lui un écrivain adulé par l’élite qui peine à vivre de sa plume dans un appartement qui ressemble autant à un musée qu’à un mausolée et paraît tout droit sorti d'un opéra. Leur enfant n’est quant à lui qu’un signe extérieur de richesse à l’usage de la presse People. France évolue quant à elle dans un monde coupé de la réalité où son cœur ne bat vraiment qu’au diapason de ses courbes d’audiences. Quant à sa fidèle complice, elle n’est que flatterie et réconfort. Avec ce retour à la contemporanéité après Jeannette et Jeanne, Bruno Dumont signe une satire au vitriol de nos mœurs médiatiques et dénonce sur un ton sardonique la prise de pouvoir de la pensée unique et de la surmédiatisation sur des téléspectateurs lobotomisés. Un jeu de massacre pour lequel il a fait appel à des acteurs connus, avec en icône cathodique Léa Seydoux, savoureuse dans l’excès, Blanche Gardin dans le rôle de son alter ego sans foi ni loi et Benjamin Biolay dans celui de son mari décoratif mais accessoire.



Léa Seydoux



Avec son prénom chargé d’une forte symbolique, France est une sorte de Jeanne d’Arc d’aujourd’hui qui n’a pas de roi à faire sacrer, mais est elle-même une souveraine dans sa profession si controversée. Elle n’a cure des collusions et des compromissions et se sent comme un poisson dans l’eau au sein d’un monde endogame où la retenue n’est pas de mise. L’important n’est pas la qualité de son travail mais la quantité de ses admirateurs. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse… La première séquence donne le ton du film. Elle a été tournée sous les ors du palais de l’Élysée où France interpelle Emmanuel Macron pour le moins familièrement au cours d’une conférence de presse, en adressant des clins d’œil entendus à son âme damnée, ravie qu’elle tire aussi bien son épingle de ce jeu de dupes. Tout l’intérêt de cette scène réside dans son dispositif, le président de la République ayant accepté de tenir son propre rôle et de dire à la virgule près le texte écrit dans le scénario. C’est sans doute la première fois qu’un personnage de cette stature accepte un tel défi. Mais comme le dit le réalisateur, il suffisait d’oser. Le résultat frise la subversion et traduit une dégradation sidérante des institutions et leur collusion douteuse avec les médias.



Léa Seydoux



Loin d’accabler son personnage principal, Bruno Dumont finira par la racheter en montrant comment l’incursion d’une touche de réalité va transformer sa vie et la faire tomber de son piédestal. Venu au cinéma par la philosophie qu’il a longtemps enseignée, le cinéaste nordiste a l’audace de tirer à boulets rouges sur une époque qui lui déplaît par sa confusion des valeurs et le cynisme des médias et des réseaux sociaux. Il emprunte pour cela plusieurs genres, passe de la comédie à la tragédie, parfois au cours de la même scène, et n’hésite pas à appuyer où ça fait mal en dynamitant allègrement les codes outranciers du roman photo et de la presse à scandale. France ressemble à un miroir sans tain qui nous renvoie un reflet bien peu flatteur et à peine déformant d’une société capable d’engendrer des mouvements tels que les Gilets Jaunes et les antivax comme les excroissances dégénérées d’une civilisation en perte de repères. Voici un film qui ne flatte personne, mais énonce des vérités fondamentales sans jamais se poser en donneur de leçons. Une œuvre de salubrité publique, en quelque sorte.

Jean-Philippe Guerand





Léa Seydoux

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...