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“Coda” de Sian Heder




Film américano-français de Sian Heder (2021), avec Emilia Jones, Marlee Matlin, Troy Kotsur, Daniel Durant, John Fiore, Lonnie Farmer, Kevin Chapman, Amy Forsyth, Eugenio Derbez… 1h51. Mise en ligne sur Apple TV le 13 août 2021.



Emilia Jones et Marlee Matlin



Voici une indéniable curiosité : le remake américain (sous supervision française étroite) de La famille Bélier transposé dans un petit port de pêche où une famille de sourds vit de cette activité aléatoire, le sourire aux lèvres, dans l’ignorance totale des règles élémentaires de sécurité et de la musique que met à fond la seule de la famille dotée d’une audition parfaite : Ruby. Au lycée, celle-ci se fait remarquer par ses qualités vocales et intègre la chorale de l’établissement sous la houlette d’un enseignant passionné par son art, Bernarrrrrdo Villalobos ! Première étape de son émancipation vers l'âge adulte, mais cruel déchirement pour ses proches qu'elle relie à la société. On reconnaît là les grandes lignes de la comédie d’Éric Lartigau qui confirme l’universalité de son potentiel en s’attachant à un handicap rarement exploité à l’écran dont il tire le meilleur parti grâce à une distribution a priori peu prestigieuse, mais qui s’avère impeccable. L’une des séquences les plus émouvantes du film est celle au cours de laquelle la famille de Ruby assiste au spectacle de fin d’année (dont elle ne perçoit pas le moindre écho sonore) et partage sa réussite en suivant des yeux la réaction des parents présents… dans un silence total qui nous fait partager l’isolement que représente la surdité.



Emilia Jones



On reconnaîtra dans le rôle de la mère de famille celle qui fut la partenaire oscarisée de William Hurt dans Les enfants du silence (1986) : Marlee Matlin, en lieu et place de Karin Viard. Une différence de taille dans la mesure où ce personnage est aujourd’hui incarné par une sourde-muette plutôt que par une actrice dans un pur exercice de composition susceptible de lui valoir des prix. Face à elle, le père campé naguère par François Damiens dans un contre-emploi spectaculaire est interprété par Troy Kotsur, comédien chevronné lui aussi handicapé de naissance. Résultat à l’écran : leur jeu est sans doute plus expressif, mais en aucun cas forcé, et leurs émotions paraissent démultipliées. Cette composante inédite ajoute un indéniable atout à ce film qui n’a pas besoin de surligner quoi que ce soit pour nous donner à partager les sentiments exacerbés de ces gens presque comme les autres qui sont intégrés dans la société locale, même s’ils suscitent parfois la moquerie de quelques adolescents intolérants qu’on mettra sur le compte de l’âge ingrat.



Amy Forsyth, Daniel Durant, Marlee Matlin et Troy Kotsur



Le titre du film est éloquent : Coda se réfère à la fois au statut familial de Ruby, fille d’adultes sourds (Child Of Deaf Adults), et au signe qui conclut un morceau de musique. Son personnage principal, cette adolescente chargée depuis sa naissance de servir de porte-parole et d’oreille à ses parents et à son frère, est incarné par l’actrice britannique Emilia Jones qui s’est soumis à un entraînement un peu particulier pour son rôle, en passant neuf mois à étudier le langage des signes, tout en s’initiant au chant et… à la pêche au chalut. Là encore, ce rôle central a échu à une comédienne chevronnée davantage qu’à une chanteuse expérimentée comme c’était le cas de Louane Emera dans la version initiale. Des partis pris qui s’avèrent payants et parfaitement compatibles avec le mélange d’insouciance et d’émotions que charrie ce sujet. La réussite de ce remake a d’ailleurs été entérinée au festival de Sundance où Coda a obtenu le Prix du public et accumulé davantage de trophées majeurs qu’aucun autre film présenté jusqu’alors dans ce festival prestigieux, tout en provoquant une surenchère d’offres de la part des distributeurs, Apple ayant remporté la mise pour la somme de vingt-cinq millions de dollars qui a assuré à sa plateforme les droits universels, ce qui explique a contrario que le film ne sorte pas en salles. Succès assuré !

Jean-Philippe Guerand



Eugenio Derbez

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