Film français de Cédric Jimenez (2020), avec Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Kenza Fortas, Michaël Abiteboul, Idir Azougli, Vincent Darmuzey, Jean-Yves Berteloot… 1h44. Sortie le 18 août 2021.
Le polar a longtemps été le genre de prédilection des cinéastes qui souhaitaient accomplir leurs premières armes dans un cadre balisé, en mettant toutes les chances de leur côté. Désormais colonisé par la télévision et plus particulièrement les séries, il a presque totalement déserté le cinéma français et demeure l’apanage d’une poignée de cinéastes dont l’un des plus célèbres est Olivier Marchal. Cédric Jimenez persiste et signe sur ce registre après Aux yeux de tous (2012), La French (2014) et en attendant Novembre (2021). Bac Nord s’inspire en l’occurrence d’une affaire survenue en 2012 au terme de laquelle dix-huit membres de la brigade anti-criminalité de Marseille ont été assignés en correctionnelle pour trafic de drogue et racket. Lui-même originaire des fameux quartier Nord de la cité phocéenne, le réalisateur montre des forces de l’ordre contraintes d’entretenir des relations troubles avec la pègre locale pour obtenir les renseignements qui lui permettront d’empêcher de nuire certains caïds et de démanteler des réseaux de trafic de drogue. Un pacte avec le diable qui outrepasse toutefois toutes les règles déontologiques.
Karim Leklou et François Civil
La singularité de Bac Nord réside dans la mise en évidence de ces collusions entre flics et voyous qui tranchent avec l’orthodoxie en vigueur, mais produisent des résultats plus tangibles que les modes opératoires traditionnels. Dans la réalité, les policiers jugés ont été relaxés ou ont écopé de peines avec sursis, validant les thèses soutenues dans le film. Le manichéisme qui a longtemps régné dans le polar apparaît aujourd’hui totalement dépassé. Les lignes ont bougé et le bien comme le mal se trouvent répartis de part et d’autre, à peu près à égalité, dans une atmosphère survoltée où les cités sont devenues des zones de non-droit placées sous la surveillance d’hommes de main armés jusqu’aux dents. Bien que le film soit fidèle aux codes du polar, il cultive quelques points communs avec Les Misérables de Ladj Ly dans l’association qu’il établit entre misère sociale et grande délinquance. Ici s’arrête toutefois la comparaison, Cédric Jimenez se situant du côté de la police, quelles que soient ces méthodes, et ne montrant les ghettos que de l’extérieur, comme de véritables zones de non droit où personne ne peut entrer sans montrer patte blanche. Bac Nord fait bouger en quelque sorte les lignes traditionnelles en montrant que le maintien de l’ordre ne peut pas toujours s’accorder au respect de la loi et qu’il faut parfois outrepasser les règles pour les faire respecter.
Gilles Lellouche
Cédric Jimenez met en scène des flics qui se comportent comme des voyous et n’hésitent pas à piquer dans la caisse pour assouvir leurs besoins quotidiens et faire vivre leur famille. Leurs compagnes n’ont pas davantage de scrupules et ont compris qu’au sein de cette jungle, la loi du plus fort reste toujours la meilleure. Le casting s’avère d’ailleurs particulièrement judicieux qui fait appel pour ces rôles de pure composition à deux jeunes comédiennes césarisées du meilleur espoir féminin en 2014 et 2019 : Adèle Exarchopoulos, qui élargit décidément son registre après Mandibules, et Kenza Fortas, révélée par Shéhérazade. Face à elles et à l’acteur fétiche de Jimenez, Gilles Lellouche, Karim Leklou et François Civil signent des prestations tout aussi remarquables. Thriller sec et nerveux dépourvu d’états d’âme et dans une certaine mesure de considérations morales, Bac Nord propose une réflexion intéressante sur la chimère de l’argent facile qui ronge une jeunesse désœuvrée ou sous-payée, en ouvrant la voie à tous les excès pour une génération en perte de repères, biberonnée aux jeux vidéo et aux réseaux sociaux.
Jean-Philippe Guerand
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