Onoda Film franco-germano-belgo-italo-japonais d’Arthur Harari (2021), avec Yûya Endô, Yuya Matsuura, Shinsuke Kato, Tetsuya Chiba, Kai Inowaki, Kanji Tsuda… 2h47. Sortie le 21 juillet 2021.
Arthur Harari s’est fait remarquer avec Diamant noir, un polar d’atmosphère situé dans le milieu des diamantaires et nommé au César du meilleur premier film en 2017. « Le cinéma est une manière de vivre avec une réalité que je ne supporterais pas sans lui », affirme ce réalisateur audacieux qui s’est aventuré avec son deuxième long métrage dans un défi très singulier qui ne cadre pas vraiment avec les standards habituels du cinéma français contemporain et sort pour le moins de sa zone de confort par sa singularité extrême. Onoda - 10 000 nuits dans la jungle est en effet un projet atypique qui prend pour cadre une île des Philippines où quelques soldats de l’armée japonaise abandonnés par leur hiérarchie à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont continué à combattre un ennemi invisible, jusqu’à ce que le dernier survivant soit évacué… en 1974.
C’est en rencontrant au Japon Bernard Cendron qui avait publié avec Gérard Chenu le livre “Onoda, seul en guerre dans la jungle” qu’Arthur Harari a décidé de développer ce projet dans lequel il a mis toute sa passion pour les explorateurs et la littérature de Joseph Conrad et Robert Louis Stevenson. Au point de ne découvrir qu’à la veille du tournage l’existence des mémoires d’Hirō Onoda, “Ne pas se rendre : Ma guerre de trente ans”. Pas question pour le réalisateur de s’atteler à une fresque contemplative sur les états d’âme d’un maquisard oublié. Il prend ici le risque de l’ampleur et de la démesure, tout en essayant de comprendre les motivations d’un homme dévoué à sa patrie et à ses supérieurs qui ne doute jamais de ce qu’il considère comme son devoir. Un tel sujet est propice aux considérations existentielles ou aux réflexions sur l’absurdité de la guerre. Ce n’est pas non plus ce qui intéresse le plus Harari. Son film s’inscrit davantage par son cadre et le thème de l’affrontement dans la lignée du Pont de la rivière Kwaï (1957) de David Lean, Duel dans le Pacifique (1968) de John Boorman, Furyo (1983) de Nagisa Oshima et surtout Fièvre sur Anatahan (1953) de Josef Von Sternberg. Il n’accable ni ne glorifie ses protagonistes. Il s’efforce de sonder leurs motivations nationalistes en nous immergeant dans un espace-temps différent, tout en respectant les codes esthétiques du cinéma nippon.
La réussite d’Onoda repose sur sa capacité à nous immerger dans un univers dont les mentalités ne nous sont pas familières. Sa mise en scène ne cède pourtant ni à la tentation du pittoresque, ni à une quelconque tendance à psychanalyser ces hommes mus par un sens du devoir qui frise l’absurdité. Au point que quand un journaliste se met en quête du dernier de ces combattants, il les apprivoise comme des animaux sauvages, mais comprend que seul son supérieur hiérarchique possèdera l’autorité qui l’incitera à rendre les armes et à retourner vers un monde devenu totalement étranger qui l’avait oublié. Il émane de ce conte élégiaque les vestiges d’un monde suspendu qui fonctionne comme un film de science-fiction à rebours. Son réalisateur a beau déclarer qu’il s’est hasardé là dans une voie où il n’envisage plus de s’aventurer, son approche n’est jamais ni pittoresque ni sensationnelle. Elle reste toujours à hauteur d’homme. Ce qui constituait déjà l’une des caractéristiques remarquables de Diamant noir. Au-delà des genres qu’il aborde, c’est dans les tréfonds de l’âme qu’aime surtout à s’aventurer Arthur Harari avec autant de respect et d’empathie que de curiosité. Il a beau jurer que cette incursion demeurera unique, il paraît difficile de prendre ses propos pour argent comptant. Gageons qu'il n'a pas fini de nous étonner.
Jean-Philippe Guerand
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