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“La loi de Téhéran” de Saeed Roustayi




Metri Shesh Va Nim Film iranien de Saeed Roustayi (2019), avec Payman Maadi, Navid Mohammadzadeh, Houman Kiai, Parinaz Izadyar… 2h10. Sortie le 28 juillet 2021.






Tout commence par une folle poursuite entre un flic et un dealer. En pleine ville. On se croirait presque dans un film hollywoodien, sans les artifices de rigueur. À cette nuance près qu’ici courir fatigue ces personnages qui sont des humains avant d’être des héros et qu’ils doivent marquer des pauses pour reprendre leur souffle. Comme dans la vraie vie. La mise en scène est nerveuse, l’issue de la séquence très incertaine. En plus, elle semble prise sur le vif, parmi une véritable foule confrontée à une situation dont on ne sait si elle relève de la réalité ou de la fiction. Sa chute est quant à elle pour le moins soudaine, brutale et inattendue… Elle va déclencher une enquête de la police des polices sur la méthode employée et le désordre provoqué par une tentative d’interpellation dont le suspect semble s’être évanoui sans laisser de traces.






Le titre donne assez justement la tonalité de ce film présenté au récent festival Reims Polar. Derrière les conventions d’un genre devenu universel se dissimule la critique plutôt acerbe d’un système qui n’hésite pas à broyer les délinquants “pour l’exemple” et ne transige pas avec l’ordre établi. Y compris lorsqu’il s’agit de faire passer en justice… des policiers aux méthodes trop personnelles et peu orthodoxes. Comme son titre français le justifie astucieusement, La loi de Téhéran est une plongée dans les abysses d’un système avec lequel il ne fait pas bon se trouver aux prises. Prendre ses distances avec le système en place constitue déjà un délit en soi, en exposant les contrevenants et autres têtes brûlées aux foudres de la justice. Ce polar iranien est une véritable révélation qui évoque par son ancrage social un autre film récent, égyptien celui-là, Le Caire confidentiel du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh. Dans un cas comme dans l’autre, le cinéma de genre n’est qu’un habillage. L’essentiel, c’est ce qui apparaît en transparence : une société gangrénée par les vices les plus anodins dont les gardiens de l’ordre veillent avant tout à réprimer les moindres dérives.


Le réalisateur Saeed Roustayi connaît ses classiques, mais se garde bien de les exhiber comme des trophées ou d’aligner les références. Il nous entraîne dans les coulisses d’un système hautement répressif où chaque citoyen est un suspect potentiel. Dès lors, il efface la lisière ténue qui sépare le Bien du Mal, en s’attachant à un flic que ses méthodes vont peu à peu faire basculer de l’autre côté. Dans sa seconde partie, La loi de Téhéran met en scène une justice implacable que la paranoïa aiguë du régime a prise à son propre piège en engorgeant les prétoires de suspect interpellés pour un oui pour un non. Là, le spectacle est inouï, tant la notion même d’individu se trouve dissoute dans le spectacle de cette foule trop grouillante pour être tout à fait coupable. La mise en scène est prodigieuse d’inventivité et souligne par son point de vue l’inanité de la situation dans une atmosphère de bruit et de fureur qui fait flamber les décibels. Elle nous fait sentir par ailleurs à quel point la justice peut être submergée et combien le châtiment peut être aussi proche qu’aléatoire…






La présence du cinéma iranien dans les festivals internationaux à travers des personnalités aussi emblématiques que les réalisateurs Jafar Panahi ou Asghar Farhadi a pu occulter l’existence d’un cinéma plus commercial qui n’a pas nécessairement pour fonction unique de distraire. La loi de Téhéran nous permet de découvrir une facette ignorée de ce cinéma, en nous révélant un metteur en scène qui utilise les ressources du film de genre pour porter un regard perçant -et l’homophonie est délibérée !- sur une société répressive sinon totalitaire. Il procède pour cela à une radiographie percutante de deux de ses piliers : la police et la justice. Le plus étonnant est que La loi de Téhéran ne se déroule pas dans des espaces clos ou à bord d’une voiture, comme tant de films iraniens dont les dialogues ont été ajoutés a posteriori pour déjouer la censure. Ici, la critique passe à la fois par des scènes de foule spectaculaires et des confrontations verbales assumées. Ce qui s’y dit s’avère pourtant d’une audace surprenante qui laisse planer un doute sur l’objectif véritable de ce film d’une habileté diabolique dont le caractère spectaculaire dissimule sans doute de plus noirs desseins.






La loi de Téhéran est la radiographie d’un système répressif confronté à sa propre impuissance. À travers le sort d’un flic aux méthodes jugées trop expéditives, c’est les institutions iraniennes dans leur globalité que Saeed Roustayi met sur le banc des accusés. Comme si l’obsession du régime à faire taire les voix discordantes et à sanctionner les moindres écarts le menaient à cette situation absurde qui consiste à remplir les prisons sans fin. Ce film montre une facette ignorée d’un pays dont la censure nous empêche de connaître la vie quotidienne. Il lève un coin du voile avec un esprit critique d’une audace percutante. Quitte à instiller un doute dans notre esprit d’Occidentaux biberonnés aux vertus démocratiques. Si ce capharnaüm est ainsi exposé à notre regard sans censure apparente, c’est que le régime des Mollahs en assume et même en revendique l’existence. C’est toute l’ambiguïté du message de ce brûlot percutant. Faut-il voir dans ce spectacle une volonté délibérée de nous adresser un avertissement ? Une question parmi toutes celles que pose ce film choc qui a en tout cas le mérite de révéler un réalisateur surdoué.

Jean-Philippe Guerand





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