Film américain de Kelly Reichardt (2019), avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones, Ewen Bremner, Scott Shepherd, Gary Farmer, Lily Gladstone, Alia Shawkat, René Auberjonois… 2h02. Mise en ligne le 9 juillet 2021 sur Mubi. Sortie le 20 octobre 2021.
La conquête de l’Ouest est passée aussi par des histoires comme celle qui a inspiré First Cow, en l’occurrence la rencontre d’un cuisinier avec un immigrant chinois qui s’associent pour monter une petite entreprise gastronomique grâce au lait de la première vache de la région. Il y a dans cette évocation de l’Amérique des pionniers située aux alentours de 1820 dans l’Oregon un étonnant mélange de rudesse et de raffinement qui annonce le pays en voie de civilisation qu’évoquait le cinéaste britannique Terence Davies dans Emily Dickinson, a Quiet Passion (2016). On s’y trouve assez loin du monde sans loi décrit dans tant de westerns. À son habitude, Kelly Reichardt s’attache à des êtres humains confrontés à une société dans laquelle il s’avère capital de s’intégrer pour survivre, tout en montrant la cohabitation plutôt harmonieuse de groupes issus de multiples vagues d’immigration avec les Indiens qu’ils dépossèderont par la suite de leurs terres. Tout cela sans véritable violence. Mais peut-être faut-il voir dans ce détail révélateur la vision fantasmée d’une femme sur un monde dominé par les hommes…
First Cow est la chronique plutôt paisible d’un monde où l’amitié est une question de survie. La séquence la plus caractéristique du film met en scène la livraison d’un clafoutis aux myrtilles par nos deux traiteurs en herbe à un notable qui a eu vent qu’il s’agissait d’un entremets très en vogue à… Paris et entend le faire goûter à ses hôtes, des représentants de la communauté indienne qui ne pratiquent pas l’anglais. Comme si le goût était érigé d’un coup au rang de langue universelle. Il plane sur ce film le fantasme rassurant que les plaisirs partagés sont de nature à aplanir les différences entre ces divers groupes humains dont le dénominateur commun est d’aspirer à composer une seule et unique nation, malgré tout ce qui les sépare. Kelly Reichardt a le mérite rare de croire à cette noble utopie qui conduisait les conquérants du Nouveau Monde avant que leurs bas instincts reprennent le dessus. C’est précisément ce qui fait la force de ce film rythmé par les saisons où les nuits sont aussi sombres que les jours peuvent être lumineux.
Jean-Philippe Guerand
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