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“Bonne mère” de Hafsia Herzi




Film français de Hafsia Herzi (2020), avec Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Jawed Hannachi Herzi, Mourad Tahar Boussatha… 1h39. Sortie le 21 juillet 2021.






Il y a deux ans tout juste, Hafsia Herzi signait un premier film d’une fraîcheur indicible dont elle était l’interprète principale et dont le titre résumait clairement l’enjeu : Tu mérites un amour. Changement total de braquet avec le deuxième, Bonne mère, dont le personnage-titre, Nora (l’incroyable Halima Benhamed) est une femme méritante qui use sa vie à la gagner, en veillant sur sa famille toujours au bord du gouffre : tandis que l’aîné est en prison, elle prend soin de sa belle-fille et de son petit-fils, mais aussi de la petite Maria qu’élève d’assez loin sa cadette, sans toujours en avoir les moyens. Quant au benjamin, il passe son temps à vivre par procuration dans les jeux vidéo en compagnie de son neveu qui réussit autant que lui-même a échoué. C’est dire combien Nora tient la barre en essayant de protéger les uns et les autres de leurs démons tentateurs, fait le ménage dans des avions qu’elle ne prendra sans doute jamais, et sert d’auxiliaire de vie à une vieille fan de Frédéric François devenue une amie de cœur…






Révélée par Abdellatif Kechiche dans La graine et le mulet, qui lui a valu le Prix Marcello Mastroianni à Venise en 2007 et le César 2008 du meilleur espoir féminin, Hafsia Herzi a démontré son talent sous la houlette des auteurs les plus divers, qu’il s’agisse d’Alain Guiraudie, Raja Amari, Bertrand Bonello, Radu Mihaileanu, Emmanuelle Bercot, Sylvie Verheyde ou Roschy Zem. Elle les a aussi visiblement observés avec attention et en a retenu les leçons. Non seulement elle a écrit seule le scénario de Bonne mère, dont le personnage s'inspire de sa maman, mais elle y démultiplie la richesse de son sujet en laissant la vie s’inviter généreusement au sein de cette chronique interprétée majoritairement par des non-professionnels, notamment lorsqu’il convient de donner un supplément d’âme à des scènes de groupe. La réalisatrice se révèle en outre autant à son aise quand il s’agit d’aborder le traintrain familial quotidien, la solidarité de collègues de travail de condition, d’âge et d’origine multiples que la complicité pudique de deux grands-mères ou les magouilles sordides de ces jeunes adultes pour lesquels le salut n’est conciliable qu’avec l’argent facile.






Il n’y a pourtant ni misérabilisme ni pathos dans la description que dresse Hafsia Herzi de ces laissés-pour-compte chez qui l’ascenseur social semble toujours en panne. Seulement une humanité qui submerge tout sur son passage et fait de sa “bonne mère”, non seulement la protectrice de Marseille, mais une femme aussi méritante que l’inoubliable Fatima (2015) de Philippe Faucon, par sa détermination à transmettre à ses enfants des valeurs nobles en les poussant vers le haut. Avec en prime un discours audacieux sur la laïcité et l’intégration qui témoigne de la finesse et de l’intelligence d’une gamine d'Aubagne devenue aujourd’hui l’une des plus belles réussites du cinéma français, tant comme actrice que comme réalisatrice. Ce film couronné d’un prix d’ensemble dans le cadre de la section cannoise Un certain regard est de ceux qui font chaud au cœur par leur détermination à s’accrocher à un monde sans doute meilleur qu’il n’est.

Jean-Philippe Guerand






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