Film franco-suédo-belgo-allemand de Mia Hansen-Løve (2021), avec Vicky Krieps, Mia Wasikowska, Tim Roth, Anders Danielsen Lie, Melinda Kinnaman, Stig Björkman… 1h52. Sortie le 14 juillet 2021.
Vicky Krieps et Tim Roth
D’un film à l’autre, Mia Hansen-Løve affirme son attachement à l’humanité de ses personnages qui furent longtemps de son âge avant qu’elle ne bascule dans L’avenir (2016) vers la génération de ses aînés, en traitant des affres du vieillissement. Une prouesse suffisamment rare pour mériter d'être soulignée. Par son titre et le cadre qu’elle a choisis, l’île de Fårö, dans la province suédoise de Gotland où Ingmar Bergman a tourné tant de ses films et vécu loin du bruit et de la fureur de la société avant de s'y éteindre, la réalisatrice française se place d’emblée sous la tutelle d’un parrainage écrasant. Elle évite toutefois les multiples pièges de ce dispositif, en s’attachant au séjour de deux scénaristes (on pense évidemment au couple formé naguère par la réalisatrice avec Olivier Assayas, l’un des plus fins connaisseurs français de Bergman) venus là pour trouver une stimulation mystérieuse à leurs travaux respectifs. Jusqu’au moment où les personnages de son script à elle commencent à prendre vie et à vampiriser son inconscient, avec un caractère prosaïque qui défie l’ombre du maître des lieux. Au point d'en venir à conditionner l'évolution de sa propre destinée.
L’habileté de Bergman Island consiste à évacuer l’ombre écrasante du réalisateur de Persona (1966) en montrant à quel point il est devenu indissociable de ce lieu dont les habitants sont loin de chérir sa mémoire et la célébrité encombrante qu’elle leur a apporté. Elle sacrifie toutefois au denier du culte en intégrant au film ceux qui perpétuent son culte (dont son biographe émérite Stig Björkman), mais aussi en installant le couple formé par Vicky Krieps et Tim Roth dans l’une des maisons colorées que les héritiers du cinéaste louent aux touristes. Avec en prime le poids écrasant que représentent le lit dans lequel agonise Harriet Andersson dans Cris et chuchotements (1972) et le piano sur lequel joue Ingrid Bergman dans Sonate d’automne (1978). Un mausolée (imaginaire ?) dont la mise en scène exploite habilement les ressources. Comparée à ces œuvres écrasantes, la romance banale entre Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie qu’orchestre Vicky Krieps dans son scénario paraît délibérément bien fade. Élégante manière pour Mia Hansen-Løve d’exprimer le dénuement qui frappe parfois l’artiste face à son modèle et d’évacuer toute tentation de comparaison hâtive en tuant un père de cinéma.
Jean-Philippe Guerand
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