Film franco-mexico-américain de Leos Carax (2020), avec Adam Driver, Marion Cotillard, Simon Helberg, Rila Fukushima, Kiko Mizuhara, Natalie Jackson Mendoza, Rebecca Dyson-Smith… 2h19. Sortie le 6 juillet 2021.
Un comique provocateur en couple avec une chanteuse d’opéra voit son étoile vaciller au moment où sa compagne accède à la gloire. Et puis, un autre avenir semble possible dès que l’enfant paraît. En l’occurrence, Annette, une petite fille dont le don miraculeux va donner un nouveau sens à la vie de ce couple devenu la coqueluche de la presse People. Leos Carax sait se faire désirer. Depuis Boy Meets Girl (1984) son premier long métrage, l’héritier post-moderne de Jean Cocteau n’a tourné que cinq longs métrages. Le précédent, Holy Motors, avait été montré en compétition à Cannes en 2012. Annette y est présenté cette année en ouverture. C’est une fois de plus l’aboutissement d’un projet très singulier entrepris en 2017 : une comédie musicale écrite et composée par les Sparks, un groupe pop-rock mythique célèbre pour un tube sorti en 1974, “This Town ain’t Big Enough for Both of Us”.
La comédie musicale, Leos Carax ne l’a jamais abordée de front, mais elle lui a inspiré une séquence mythique de Mauvais sang dans laquelle Juliette Binoche et Denis Lavant dansent sur “Modern Love” de David Bowie. Il croise ici le thème éternel d’Une étoile est née (un couple est détruit par l’ascension de l’une et le déclin de l’autre) avec une variation audacieuse autour du thème de Frankenstein. Le film s’ouvre sur une séquence d’enregistrement à laquelle participent les membres de Sparks, mais aussi Leos Carax en personne et le couple formé par Marion Cotillard et Adam Driver. Jusqu’au moment où ce dernier enfourche sa moto et se mue en l’espace d’un plan en cet ange exterminateur immortalisé par Cocteau dans Orphée (1949). Carax reste d’entrée de jeu tel qu’en lui-même : un éternel jeune homme qui croit au romantisme et demeure en phase avec ses idoles. Au point de filmer les corps imbriqués de son couple d’amoureux avec la sensualité d’une statuaire d’Auguste Rodin, ce sculpteur qui lui a inspiré en 2014 un court métrage en forme de happening intitulé Gradiva. Il ne reste plus dès lors à l’artiste qu’à dérouler, avec la précieuse complicité de sa fidèle directrice de la photo, Caroline Champetier.
À travers ce film creuset, Carax aborde une fois de plus d’innombrables thèmes et signe en fait une tragédie musicale d’une noirceur assumée qui fait la part belle au plus antipathique de ses protagonistes et prend un malin plaisir à éliminer les représentants du bien. Jusqu’à cette gamine inhumaine à la voix de cristal dont le cinéaste a eu l’idée de faire une sorte de réplique féminine de Pinocchio qui va échapper à son géniteur, en confiant la confection et la manipulation de sa marionnette à La Tordue qui excelle en la matière. Autre signe révélateur, c’est à Nastya, la fille qu’il a eu en 2004 avec l’ex-épouse de son ami Šarūnas Bartas, la comédienne Yekaterina Golubeva, que le réalisateur prend soin de dédier ce film gigogne qui s’achève sur une véritable note d’espoir et lui donne l’occasion de s’adresser au public en déambulant avec l’ensemble de son équipe. Une insouciance qu’a rarement manifesté cet artiste si secret sur lequel le temps ne semble décidément avoir aucune prise.
Jean-Philippe Guerand
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