Film français d’Olivier Peyon (2020), avec Karin Viard, Stéphane Bak, Yumi Narita, Philippe Uchan, Jean-François Cayrey, Émilie Gavois-Kahn, Charlie Dupont, Nola Blossom, Simon Ayache, Kentaro… 1h41. Sortie le 23 juin 2021.
Tout va très bien, madame la marquise… Cette ritournelle populaire d’Avant-Guerre interprétée par un chœur de Japonais donne d’emblée le ton ironique et faussement badin de “Tokyo Shaking” dont le sous-titre narquois est d’ailleurs… “Tout va très bien”. Son cadre est celui d’une banque française installée à Tokyo où débarque un beau matin un jeune ambitieux aux dents longues. Au moment même où sa tutrice apprend que la dernière consigne de la direction est une compression de personnel qui empêche de fait toute nouvelle embauche. Un dilemme économique qui va se télescoper aux conséquences d’une catastrophe naturelle ô combien plus préoccupante.
En effet, au même moment, un tremblement de terre se fait ressentir dont les médias ne tardent pas à annoncer qu’il a déclenché un violent tsunami au Nord du Japon et frappé de plein fouet une centrale nucléaire située à Fukushima. Les observateurs avisés tentent de calmer le jeu. Et quand une première explosion se produit dans un réacteur, un spécialiste tempère en expliquant que c’est la conséquence d’un système de protection qui fonctionne efficacement. Quand le ciel nous tombe sur la tête, on se rassure comme on peut… Y compris en usant de la méhode Coué. Tout va très bien, madame la marquise !
Tandis que la tension monte, elle est alimentée par les informations anxiogènes diffusée par la télévision et des images spectaculaires assorties de commentaires pluôt vagues. Ailleurs, à l’intérieur de l’entreprise, le personnel local reste zen, mais la tension monte parmi la communauté française à l’écoute des consignes de la direction parisienne. Reprenant à son compte les codes du film catastrophe, Olivier Peyon s’attache exclusivement aux conséquences du séisme et à la désorganisation qui s’installe peu à peu, faute de consignes claires. Son regard est celui d’une femme cadre qui applique elle-même les consignes d’un directeur bonhomme dépassé par les événements et prend sur elle de rassurer un personnel en état d’égarement. D’un côté, des Japonais dévoués qui refusent de paniquer. De l’autre, une poignée de Français dont il faut organiser le rapatriement en urgence.
Karin Viard
“Tokyo Shaking” témoigne par son sujet d’une volonté salubre de sortir des sentiers battus du cinéma français, en reconstituant la catastrophe nucléaire survenue en 2011 de façon méticuleuse et avec toutes les ressources qu’offre la technologie moderne. Au second degré, ce film est aussi une réflexion acerbe sur le pouvoir de ces multinationales qui ne sont guidées que par la course au profit. Dès lors, les salariés ne sont plus que des travailleurs comme les autres dont le dévouement se mesure à l’aune de leur capacité à se sacrifier pour leur entreprise. Une spécificité japonaise dont témoignent également des cadres français supposés donner l’exemple.
Aussi à l’aise dans la fiction que le documentaire, Olivier Peyon use ici de cette double expertise en confrontant son groupe aux informations qui lui parviennent de l’extérieur et conditionnent son comportement individuel et collectif. Pour s’être frotté à des personnalités du réel telles que Michel Onfray et Cédric Villani, le réalisateur utilise la personnalité volcanique de Karin Viard, en la poussant sur un terrain qu’elle affectionne, qui plus est face à des partenaires peu ou pas démonstratifs dont la passivité l’oblige à se lâcher.
Cette banque dont les employés sentent le sol se dérober sous leurs pieds, c’est en quelque sorte le “Titanic” au moment du naufrage. Un microcosme brusquement coupé du monde qui doit se serrer les coudes pour ne pas couler, alors même que son capitaine ne pense qu’à sauver sa peau. Son honneur est heureusement défendu par sa plus proche collaboratrice qui va réagir avec davantage de bon sens et de sérénité que de calcul. Alors que tout s’effondre autour d’elle, c’est par son esprit d’équipe qu’elle s’impose et réussit à maintenir le moral de ses troupes. Un rôle en or pour Karin Viard qui passe par une large gamme de postures et d’émotions en trouvant là une magnifique occasion de témoigner de sa virtuosité. C’est aussi l’une des qualités de ce film que de pousser ses interprètes hors de leur zone de confort naturelle, à commencer par Stéphane Bak en jeune loup ambitieux, Philippe Uchan en patron désabusé, mais aussi des acteurs japonais qui contrebalancent par leur douceur et leur discrétion les excès des Occidentaux.
Karin Viard
“Tokyo Shaking” propose une alternative originale au tout-venant d’un cinéma français qui n’ose pas assez souvent se mesurer à la concurrence internationale. Olivier Peyon incarne une nouvelle génération qui entend abolir les frontières et se frotter à des sujets universels, en privilégiant systématiquement le facteur humain. La catastrophe nucléaire de Fukushima est ici le prétexte à un tableau de mœurs incisif et parfois caustique en situation de crise. Le résultat est un spectacle ambitieux qui distille en filigrane une réflexion très sérieuse sur l’horreur économique et ses dégâts collatéraux, mais aussi la puissance occulte de certaines entreprises pour lesquelles les salariés ne sont que des pions, non seulement corvéables à merci, mais également interchangeables. Rien ne va si bien que ça !
Jean-Philippe Guerand
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