Film américano-belge de Darius Marder (2019), avec Riz Ahmed, Olivia Cooke, Lauren Ridloff, Mathieu Amalric, Paul Raci, Domenico Toledo, Chelsea Lee… 2h. Sortie le 16 juin 2021.
L’histoire d’amour du septième art avec le son dure depuis près d’un siècle. Elle n’a pas pour autant toujours été paisible. À la fin des années 20, certains esprits chagrins prophétisaient même le plus sérieusement du monde que la TSF aurait la peau du cinéma. Force est de constater que le son demeure aujourd’hui encore un parent pauvre de ce syncrétisme. Un paradoxe d’autant plus insoutenable que le confort acoustique des spectateurs n’a cessé d’être amélioré pour sauvegarder la suprématie des salles, alors même que ses ressources dramatiques n’ont été que très peu exploitées, sinon dans des œuvres aussi différentes que Playtime (1967) de Jacques Tati, Conversation secrète (1974) de Francis Ford Coppola, Stalker (1979) d’Andreï Tarkovski, Blow Out (1981) de Brian de Palma ou très récemment Le chant du loup (2019) d’Antonin Baudry. L’initiative de Darius Marder mérite donc d’être saluée comme l’œuvre d’un pionnier authentique, soucieux d’explorer un monde mystérieux pour nous donner à partager une expérience unique dans laquelle il convient de s’immerger sans préjugés.
Riz Ahmed
Sound of Metal s’attache aux affres d’un musicien victime d’acouphènes qui va peu à peu se retrouver coupé du monde en perdant ses capacités auditives et en hypothéquant l’avenir de ses collaborateurs. Cette descente aux enfers, le réalisateur Darius Marder (qui s’est fait connaître en coécrivant le scénario de The Place Beyond the Pines avec Derek Cianfance) l’orchestre avec un maximum de réalisme, en jouant évidemment sur sa bande son, mais aussi sur un dispositif spécifique qui consiste à la fois à sous-titrer les dialogues et à les parer de descriptions sonores. Il s’est inspiré pour cela du calvaire vécu par sa grand-mère, cinéphile et mélomane victime d’un effet secondaire des antibiotiques. C’est dans le monde des sourds et des malentendants que nous entraîne ce film avec un souci de réalisme poussé à l’extrême qui passe à l’écran par des partis pris radicaux mais fascinants, cependant éloigné de certaines œuvres expérimentales qui n’ont cure du spectateur.
En choisissant pour interpréter son personnage principal le comédien britannique Riz Ahmed, le réalisateur a misé sur sa capacité à s’isoler et son goût du risque. Par exemple, en lui faisant apprendre non seulement le langage des signes, mais aussi la musique, ainsi qu’à sa partenaire Olivia Cooke, pour les laisser se produire ensuite devant un véritable public, avec la mise en danger qu’impliquait un tel défi. C’est grâce à ce postulat sophistiqué que la mise en scène parvient à un tel niveau d’intensité, Darius Marder et Riz Ahmed nous plongeant dans la tête d’un batteur en proie à une perte de capacité d’autant plus angoissante qu’elle risque de concerner chacun de nous. Il convient de saluer ici le travail exceptionnel accompli en amont du tournage par l’ingénieur du son français de Jean-Pierre Jeunet, Nicolas Becker, pour nous immerger dans des couches de fréquence auxquelles le cinéma ne nous a pas vraiment habitués jusqu’alors. Il y a gagné un Oscar amplement mérité. Sound of Metal est en ce sens une authentique invitation au voyage qui nous entraîne vers des rivages sensoriels inexplorés. L’expérience se révèle intense.
Jean-Philippe Guerand
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