Accéder au contenu principal

“Minari” de Lee Isaac Chung




Film américain de Lee Isaac Chung (2020), avec Steven Yeun, Han Ye-ri, Alan S. Kim, Noel Kate Cho, Youn Yuh-jung, Scott Haze, Will Patton… 1h56. Sortie le 23 juin 2021.






Le cinéma américain a souvent célébré les pionniers et les vagues successives de migrants qui ont nourri la richesse de son melting-pot. Minari est en quelque sorte une chronique de l’intérieur. Lui-même issu de la communauté coréenne, l’une des plus discrètes des États-Unis, Lee Isaac Chung y relate l’installation d’une famille unie qui comprend les parents, la grand-mère et deux enfants au fin fond de l’Arkansas où le père envisage de devenir fermier. Lauréat du Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, Minari doit son titre à une espèce particulière de cresson de fontaine considérée comme une plante fétiche par les immigrants, car elle meurt la première année avant de refleurir ensuite. Ce film a valu plusieurs récompenses à la comédienne Youn Yuh-jung qui incarne l’aïeule facétieuse avec laquelle son petit-fils va nouer des relations particulièrement intenses, malgré leur différence d’âge considérable. Sous les dehors d’une chronique de l’immigration, ce film est avant tout une célébration de la famille dans son sens le plus large. Une sorte de cellule protectrice qui permet à ses membres d’avancer unis et de faire face à l’adversité dans les circonstances les plus extrêmes. Sans jamais courber la tête.






Lee Isaac Chung opte délibérément pour une structure pointilliste nourrie de choses vues et des scène empruntées au quotidien qui se réfèrent en fait davantage au style de certains cinéastes asiatiques, du Japonais Yasujirō Ozu au Coréen Lee Chang-dong en passant par le Taïwanais Edward Yang, qu’à l’école américaine, adepte de récits plus linéaires. Il émane toutefois de cette anthologie de scènes souvent anodines, mais jamais banales ni même pittoresques, une émotion indicible qui touche par son immédiateté et l’importance considérable accordée aux relations humaines dans toute leur diversité. Minari ne bascule jamais dans la tentation de la critique sociale ni même de l’étude de mœurs proprement dite. Le film circonscrit son espace vital à cette caravane dans laquelle la famille élit domicile, sans chercher à s’attarder sur son voisinage. Ce n’est qu’au fur et à mesure de son intégration que la tribu va s’ouvrir vers l’extérieur et trouver ses repères en préservant son unité. À travers ce récit nourri de souvenirs d’enfance, Lee Isaac Chung nous offre une alternative souriante, mais aussi souvent bouleversante, à ces innombrables récits d’immigration pleins de bruit et de fureur qui courent à travers l’histoire du cinéma américain, de la conquête de l’Ouest à America America (1963) d’Elia Kazan et Gangs of New York (2002) de Martin Scorsese. C’est un trésor de pureté d’une portée universelle.

Jean-Philippe Guerand





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le paradis des rêves brisés

La confession qui suit est bouleversante… © A Medvedkine Elle est le fait d’une jeune fille de 22 ans, Anna Bosc-Molinaro, qui a travaillé pendant cinq années à différents postes d’accueil à la Cinémathèque Française dont elle était par ailleurs une abonnée assidue. Au-delà de ce lieu mythique de la cinéphilie qui confie certaines tâches à une entreprise de sous-traitance aux méthodes pour le moins discutables, CityOne (http://www.cityone.fr/) -dont une responsable non identifiée s’auto-qualifie fièrement de “petit Mussolini”-, sans nécessairement connaître les dessous répugnants de ses “contrats ponctuels”, cette étudiante éprise de cinéma et idéaliste s’est retrouvée au cœur d’un mauvais film des frères Dardenne, victime de l'horreur économique dans toute sa monstruosité : harcèlement, contrats précaires, horaires variables, intimidation, etc. Ce n’est pas un hasard si sa vidéo est signée Medvedkine, clin d’œil pertinent aux fameux groupes qui signèrent dans la mouva...

Bud Spencer (1929-2016) : Le colosse à la barbe fleurie

Bud Spencer © DR     De Dieu pardonne… Moi pas ! (1967) à Petit papa baston (1994), Bud Spencer a tenu auprès de Terence Hill le rôle de complice qu’Oliver Hardy jouait aux côtés de Stan Laurel. À 75 ans et après plus de cent films, l’ex-champion de natation Carlo Pedersoli, colosse bedonnant et affable, était la surprenante révélation d’ En chantant derrière les paravents  (2003) d’Ermanno Olmi, Palme d’or à Cannes pour L’arbre aux sabots . Une expérience faste pour un tournant inattendu au sein d’une carrière jusqu’alors tournée massivement vers la comédie et l’action d’où émergent des films comme On l’appelle Trinita (1970), Deux super-flics (1977), Pair et impair (1978), Salut l’ami, adieu le trésor (1981) et les aventures télévisées d’ Extralarge (1991-1993). Entrevue avec un phénomène du box-office.   Rencontre « Ermanno Olmi a insisté pour que je garde mon pseudonyme, car il évoque pour lui la puissance, la lutte et la viol...

Jean-Christophe Averty (1928-2017) : Un jazzeur sachant jaser…

Jean-Christophe Averty © DR Né en 1928, Jean-Christophe Averty est élève de l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (Idhec) avant de partir travailler en tant que banc-titreur pour les Studios Disney de Burbank où il reste deux ans en accumulant une expertise précieuse qu'il saura mettre à profit par la suite. De retour en France, il intègre la RTF en 1952 où il réalisera un demi-millier d'émissions de radio et de télévision dont Les raisins verts (1963-1964) qui assoit sa réputation de frondeur à travers l'image récurrente d'une poupée passé à la moulinette d'un hachoir à viande et pas moins de 1 805 numéros des Cinglés du music-hall (1982-2006) où il exprime sa passion pour la musique, sur France Inter, puis France Culture, lui, l'amateur de jazz à la voix inimitable chez qui les mots semblent se bousculer. Fin lettré et passionné par les images, l’iconoclaste Averty compte parmi les pionniers de la vidéo et se caract...