Služobníci Film slovaco-irlando-tchéco-roumain d’Ivan Ostrochovský (2019), avec Samuel Skyva, Samuel Polakovic, Vlad Ivanov, Vladimir Strnisko, Martin Sulik… 1h18. Sortie le 2 juin 2021.
Samuel Skyva et Samuel Polakovic
Derrière le Rideau de Fer, l’église entretenait parfois des rapports ambigus avec la police politique qui voyait dans son pouvoir d’influence à la fois un grand danger et une aubaine. C’est la raison pour laquelle, dans la Tchécoslovaquie du début des années 80, le régime communiste tentait de mettre au pas les serviteurs de Dieu pour en faire ses auxiliaires les plus zélés. Les séminaristes s’attache à cette vaste entreprise de soumission dans un noir et blanc dépourvu d’affèteries. Ivan Ostrochovský traite cet univers comme un microcosme bouillonnant et décrit sans concessions les luttes d’influences qui l’agitent. Ce film en forme d’ascèse propose une réflexion passionnante sur des notions telles que la vocation, la foi et la rigueur morale. Il réussit à éviter la tentation du manichéisme en soulignant qu’il ne peut y avoir de corrompus sans corrupteurs.
La mise en scène, fluide, s’appuie sur des personnages volontiers ambigus qui se trouvent en proie à des cas de conscience particulièrement pesants et cherchent pas leur comportement à repousser les limites du Bien et du Mal, au-delà même du dogme religieux. Cas de conscience vertigineux qui permet à une société totalitaire d’affirmer son emprise en s’attaquant aux plus vulnérables des âmes, de façon à infiltrer la hiérarchie catholique par la base de recueillir par extension les confessions de ses pécheurs.
Martin Sulik et Vlad Ivanov
Les séminaristes s’inscrit dans la lignée de ces films produits dans les ex-pays du bloc soviétique qui soulignent a posteriori les collusions entre le pouvoir politique et les autorités religieuses parmi lesquels deux productions polonaises marquantes : Ida (2013) de Pawel Pawlikowski, qui dénonçait un antisémitisme d’État et La communion (2019) de Jan Komasa qui s’attachait à la crise de la vocation au sein de l’Église à travers une usurpation d’identité. C’est une mécanique diabolique que démonte Ivan Ostrochovský dans ce film dont on a l’impression qu’il n’est en noir et blanc que parce que c’est ainsi que bon nombre de Tchèques percevaient leur quotidien grisailleux d’alors. Un parti pris inspiré qui renforce la puissance dialectique de cette immersion au cœur des rouages d’un régime totalitaire qui a durablement traumatisé les esprits sans parvenir toutefois à broyer les consciences. Avec, au passage, une description inattendue de ces séminaristes en passe de basculer dans un processus idéologique irréversible.
Jean-Philippe Guerand
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