Documentaire français d’Éléonore Weber (2020) Avec la voix de Nathalie Richard. 1h15. Sortie le 16 juin 2021.
La guerre est devenue un vaste jeu de rôles par écrans interposés auquel la technologie moderne octroie des armes de destruction massive dont personne ne pouvait soupçonner la léthalité. L’usage des caméras infrarouges permet aujourd’hui aux tireurs de repérer leurs cibles sans être repérés. Comme son titre le souligne, Il n’y aura plus de nuit s’attache à la disparition d’une contingence naturelle que l’homme est parvenu à surmonter pour mieux tuer. On connaissait déjà ces drones manipulés par des champions de jeux vidéo depuis des hangars anonymes qu’Andrew Niccol a mis en scène dans Good Kill (2014). Le documentaire d’Éléonore Weber franchit un nouveau cap en montrant que la barbarie des hommes n’a plus de limites lorsqu’on la pare du don d’ubiquité. Ces artifices qui habillent d’images abstraites les actions les plus concrètes présentent l’avantage de soulager la conscience des tueurs auxquels la technologie épargne le spectacle véritable de leurs forfaits. Éliminer un quidam qui marche dans la rue en pleine rue, c’est placer une forme jaune tremblotante au milieu d’un cercle, puis appuyer sur une gâchette. Comme dans un jeu vidéo et sans le moindre risque de représailles. Le crime est presque parfait. Et il ne laisse aucune pièce à conviction. Seulement des cadavres qui n’ont même pas compris qu’ils allaient mourir.
La voix de Nathalie Richard confère un indéniable supplément d’âme à ces images qu’on va s’habituer à décrypter. Au point de se prendre à ce jeu funeste et de calquer son propre regard sur celui du tireur en adoptant ses réflexes. Présenté dans le cadre du festival Cinéma du réel en 2020, Il n’y aura plus de nuit nous offre une vue imprenable sur la mort en direct dans laquelle les victimes sont totalement déshumanisées, donnant ainsi à leurs bourreaux invisibles une impunité totale. La morale n’a plus cours. Ceux qui tuent défendent leur pouvoir. Leurs cibles ignorent tout du pouvoir occulte qui les traque et les abat. En langage châtié, on appelle ça des frappes chirurgicales. L’expérience a toutefois prouvé à maintes reprises qu’elles n’interdisent pas les bavures pour autant. C’est en récupérant sur Youtube des images éparses d’opérations militaires aériennes menées en Irak, en Afghanistan ou en Syrie qu’Éléonore Weber a eu l’idée de composer ce film kaléidoscopique bizarrement empreint d’une folle poésie. Pas besoin de juger. Il lui suffit de montrer pour instaurer un malaise lancinant à partir de ce jeu de massacre.
Jean-Philippe Guerand
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