You Belong to Me Film américain de Vaughn Stein (2020), avec Casey Affleck, Sam Claflin, Veronica Ferres, Michelle Monaghan, India Eisley, Emily Alyn Lind… 1h45. Sortie en e-cinema le 4 juin 2021.
Rares sont aujourd’hui les comédiens dont les films reflètent autant la nature profonde que Casey Affleck. Là où ses collègues s’égarent parfois dans des chemins de traverse, pour un surcroît de notoriété où un cachet vertigineux, cet acteur intègre est parvenu à progresser en ligne, à travers des rôles qui reflètent sa sensibilité mais ne s’avèrent pas nécessairement compatibles avec une carrière hollywoodienne de premier plan. Il suffit pour s’en convaincre d’observer de près sa filmographie. De Manchester by the Sea (2016), qui lui a valu l’Oscar du meilleur acteur, à A Ghost Story (2017), devenu ce qu’on appelle un classique instantané par son approche du travail de deuil, le petit frère de Ben Affleck semble répondre davantage aux élans du cœur qu’à un plan de carrière illusoire. La rectitude de ses choix est là pour attester de sa sensibilité à fleur de peau. Il y a vraiment quelque chose de brisé et de fracassé chez cet homme qui chemine sur la corde raide des sentiments, sans jamais verser dans le pathos.
Lorsqu’une de ses patientes vient à se donner la mort, Philip voit débarquer le frère de la disparue, un séducteur énigmatique qui va profiter du désordre affectif de sa famille pour exercer son emprise simultanément sur sa fille à la dérive (renvoyée du lycée pour avoir sniffé un rail de coke en cours de sciences naturelles !) et son épouse dévastée par la perte de leur petit garçon. Chez ces gens-là, le poids des non-dits est devenu une véritable chape de plomb qui les empêche de progresser. Une absence taboue que personne n’ose plus évoquer mais qui plane sur ce trio comme un spectre. Casey Affleck excelle sur le registre délicat des personnages introvertis qui portent en quelque sorte le poids du monde sur leurs épaules. Un paradoxe dans Every Breath You Take où son empathie naturelle lui sert dans l’exercice d’une profession totalement tournée vers l’écoute : la psychanalyse. Avec, face à lui, celui qui a la beauté du diable et par lequel le scandale va arriver : un séduisant ange exterminateur campé par Sam Claflin sur un registre qui évoque à dessein celui de Terence Stamp dans Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini, mais aussi une belle brochette de psychopathes patentés.
Le drame psychologique évolue peu à peu vers le thriller, quitte à révéler des personnages à double face et des vérités trop longtemps étouffées. Sous couvert de nous livrer un thriller classique, le troisième long métrage de Vaughn Stein tisse un subtil entrelacs mental entre des personnages pour le moins perturbés et nous invite à suivre ses déambulations tortueuses entre vérité et mensonges, en orchestrant une montée en puissance de la tension qui passe moins par une surenchère de cadavres que par des réalités alternatives qui se substituent progressivement les unes aux autres dans la plus pure tradition du polar à faux-semblants. Avec, en point d’orgue, ce bon vieux noyau familial qui permet de se serrer les coudes pour faire face à l’adversité en taisant des différends qui ont bien failli lui être fatals en brisant son unité. Lorsqu’il est question d’entertainment, l’efficacité est parfois aussi un atout cardinal.
Jean-Philippe Guerand
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