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“The Father” de Florian Zeller




Film britanno-français de Florian Zeller (2020), avec Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Mark Gatiss, Olivia Williams, Imogen Poots… 1h38. Sortie le 26 mai 2021.



Imogen Poots, Olivia Colman et Anthony Hopkins



“Le père” est une pièce qui a toujours porté bonheur à son auteur, Florian Zeller. D’abord au théâtre où elle a valu d’innombrables prix d’interprétation aux acteurs illustres qui se sont frottés à ce personnage en proie à des troubles cognitifs qui l’incitent à considérer son entourage avec une suspicion qui confine parfois à la paranoïa. Elle fit ensuite l’objet d’une adaptation très libre qui a marqué les adieux au cinéma de Jean Rochefort sous la direction de Philippe Le Guay. Mais il s’agissait dans ce film intitulé Floride (2015) d’une sorte d’étude clinique dépourvue de tendresse et donc hermétique à toute empathie. Certes, ce père est un personnage cassant et autoritaire, mais il faut impérativement le rendre attachant pour que son sort parvienne à nous émouvoir.


En s’attelant à son tour à l’adaptation de sa septième pièce, Florian Zeller s’est recentré à dessein sur ses fondamentaux, sans jamais chercher à “aérer” cette confrontation terrible entre ce père à l’esprit chancelant, sa fille en partance pour l’étranger et des protagonistes que le maître des lieux à la raison chancelante n’est pas toujours certain d’identifier avec clairvoyance. Y affleure la thématique éternelle qui court à travers l’œuvre du dramaturge : la famille. Son prochain film sera d’ailleurs une adaptation d’une autre de ses pièces Le fils, devenue The Son grâce à son association avec son glorieux aîné Christopher Hampton avec lequel il vient de partager l’Oscar de la meilleure adaptation.



Anthony Hopkins et Olivia Colman



The Father est moins un nœud de vipères que le constat tragique qu’implique l’âge, avec cette souffrance que ressentent les plus jeunes à voir leurs aînés embarquer vers des rivages inconnus d’où ils ne reviendront jamais. Florian Zeller s'est inspiré pour cela de la grand-mère qui l'a élevé et qu'il a vu perdre pied, alors que lui-même n'était âgé que de 15 ans. C’est donc une sorte de travail de deuil avec un vivant que décrit ce film parfois âpre. Un sujet universel qui explique sans doute aussi le succès planétaire d’une pièce vécue comme un exutoire par bon nombre de spectateurs confrontés à des situations identiques sur lesquelles il n’est pas de bon ton de s’épancher en public. Le père à la dérive se raccroche au seul être en qui il a confiance : sa propre fille dont on comprend qu’elle a jusqu’alors sacrifié sa vie à la sienne, mais n’entend pas couler avec lui. Avant de rejoindre celui qu’elle aime à l’étranger, Anne entreprend donc de recruter la perle rare qui pourra la remplacer auprès de son père, en veillant sur lui et sur ses absences au quotidien. Il lui arrive toutefois de se méprendre sur l’irruption de ces étrangers dans sa vie, quitte à assimiler à ce qu’ils ne sont pas pour les faire entrer de force dans son paysage mental. Au point de s’enfermer peu à peu dans ce nouveau monde qui cadre de moins en moins avec la réalité.



Olivia Colman et Anthony Hopkins



Pour réussir ce passage périlleux de la scène à l’écran, Florian Zeller a décidé de tourner son premier film en anglais, ce qui lui garantissait une exposition internationale que n’aurait sans doute pas permis la langue française et lui ouvrait par ailleurs un choix d’interprètes beaucoup plus vaste. Il a aussi décidé de faire équipe avec son confrère britannique francophile Christopher Hampton, lui aussi passé à la réalisation, pour qui l’art de l’adaptation est devenu une seconde nature. Résultat, The Father voltige dans un espace-temps à géométrie variable dont les protagonistes changent d’emploi selon le regard porté sur eux. C’est du grand art !


Le rôle-titre de The Father est de ceux qui constituent un défi comme aiment en relever tous les acteurs de composition. Robert Hirsch y a glané un Molière en 2014. Depuis, ce personnage a valu des prix aux britanniques Kenneth Cranham et Kenneth Alan Taylor, à l’Américain Frank Langella, à l’israélien Sasson Gabaï, mais aussi à des comédiens brésilien, hong-kongais, japonais et canadien. Excusez du peu ! En l’incarnant à son tour, mais cette fois à l’écran, Anthony Hopkins y a trouvé un emploi à la démesure de ses 83 ans qui lui a valu son deuxième Oscar et son cinquième Bafta. Derrière son regard malicieux, perce toutefois un égarement qui confine à la détresse, sans qu’on sache vraiment où s’arrête la réalité et où débute la manipulation. Un peu comme dans un autre classique du théâtre : Volpone de Ben Jonson.



Anthony Hopkins



Anthony Hopkins fait partie de ces acteurs pour qui le défi n’est jamais assez immense. Dans The Father, il réussit la prouesse de rendre attachant un homme autoritaire dont la mémoire part à la dérive, sans qu’on sache jamais s’il en rajoute pour se faire plaindre ou s’il a déjà totalement perdu la maîtrise de sa conscience. La clarté du regard de l’acteur contraste avec la violence du tempérament de son personnage, tous deux prénommés Anthony. À croire que l’acteur gallois à l’œil frisant s’est approprié les postures de son chat Niblo qu’il a rendu mondialement célèbre sur les réseaux sociaux. Car c’est quand on lui tient tête qu’il dévoile ses faiblesses et manifeste son incapacité à raisonner en toute logique. Il y a pourtant dans son attitude et ses efforts pour attirer la compassion le chantage affectif désespéré auquel il se livre à l’égard de sa fille. Il ne veut pas qu’elle le quitte et se moque bien qu’elle lui sacrifie son bonheur depuis des lustres. Nul besoin de grandes explications ou de flash-backs artificiels pour qu’on comprenne qu’elle a toujours exécuté ses quatre volontés sans rechigner. C’est parce que l’esprit défaillant de son père l’exige et que son compagnon le lui intime qu’elle a enfin le courage de prendre ses distances. Le vieil homme manifeste cependant une résistance déconcertante qui s’accommode d’une agressivité larmoyante.







En tant qu’auteur, Florian Zeller se met intégralement au service de son texte et se garde bien de succomber au vertige d’une mise en scène trop tapageuse. Sa direction d’acteurs consiste à orchestrer le pas de deux d’un couple d’exception. Car face au charismatique Anthony Hopkins, il place l’une des actrices britanniques les plus douées de sa génération : Olivia Colman, la deuxième interprète d’Elizabeth II dans la série The Crown. Un duel à fleurets mouchetés filmé simplement pour mettre en valeur ce rapport de force dans lequel s’insinuent par ailleurs des intrus, qu’il s’agisse des postulantes à l’emploi d’auxiliaire de vie ou de l’amoureux d’Anne. Certains se prenant davantage que les autres à ce jeu de la vérité sans issue.


Famille, je vous aime ; famille, je vous hais : Florian Zeller se garde bien de couper ce nœud gordien. Il s’attache à la puissance des rapports filiaux confrontée à l’une des pires atteintes neurologiques qui soient : la maladie d’Altzheimer. Ce moment tragique où l’esprit se détache du corps et commence à larguer les amarres du réel. Sans espoir de retour. Avec l’exacerbation des sentiments associée à ce processus si douloureux. La prouesse d’Anthony Hopkins consiste à passer d’un comportement haïssable à une attitude pathétique, sans qu’il soit toujours possible de démêler le vrai du faux, la manipulation de la déchéance. Si cette histoire nous touche autant, c’est aussi parce qu’elle peut susciter des réactions fort différentes d’un spectateur à l’autre, pour peu qu’on la passe au tamis de son vécu. D’où son universalité…

Jean-Philippe Guerand



Anthony Hopkins

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