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“1971 : The Year That Music Changed Everything” d’Asif Kapadia




Série documentaire américaine d’Asif Kapadia réalisée par Danielle Peck et James Rogan (2021) 8 épisodes représentant 6h03. Mise en ligne sur Apple TV le 21 mai 2021.






C’est l’histoire d’une révolte qui s’est changée en révolution sous l’effet d’un choc tellurique. Alors que la guerre du Vietnam fait rage malgré l’opposition d’une génération toute entière, c’est par la musique que les pacifistes vont contraindre le “président paranoïaque” Richard Nixon (dixit son collaborateur Alexander Butterfield) à amorcer un retrait stratégique, alors même qu’il dénie à la jeunesse le droit d’être représentative de la voix de l’Amérique. Partant de ce postulat, Asif Kapadia ajoute une série à une œuvre de documentariste qui lui a déjà valu un Prix du public à Sundance (pour Senna, en 2011), un Oscar (pour Amy, en 2016) et pas moins de quatre Baftas. Ce projet ambitieux s’inscrit dans la continuité logique des films qu’il a consacrés par le passé à des phénomènes sociologiques et des figures de son temps. 1971 : The Year That Music Changed Everything comporte huit épisodes qui reconstituent le puzzle d’un séisme civilisationnel. Une sorte de réponse collective à une question posée par le hit de Marvin Gaye “What’s Going On”, sorti en janvier 1971, qui incitera John Lennon et Yoko Ono à mettre la notoriété des Beatles au service de la cause pacifiste à travers l’album Imagine et son titre emblématique.






Les Britanniques sont aussi prompts à s’engager dans ce combat que les Américains, avec à la clé ces Protest Songs qui vont devenir des succès planétaires et le métissage réciproque des Britanniques et des Américains, d’Elton John à David Bowie, en passant par les Who et les Rolling Stones. Simultanément, des activistes transmettent à la presse des documents compromettants volés dans une antenne du FBI située à… Media (ça ne s’invente pas !) dans la banlieue de Philadelphie. La nuit même où toute l’attention est attirée par le championnat du monde de boxe opposant Joe Frazier à Mohamed Ali, longtemps interdit de combat pour avoir refusé de partir au Vietnam. Le “Washington Post” enfoncera ainsi un premier coin dans la présidence de Nixon et cette pratique des écoutes qui conduira plus tard à l’affaire du Watergate et à sa chute.






Comme toujours chez Asif Kapadia, le choix judicieux des archives répond à une logique implacable qui remet les événements en perspective et dresse un parallèle pertinent entre les images et le son, en l’occurrence le foisonnement musical qui a particularisé ce cru mémorable. À un demi-siècle de distance, cette série foisonnante décrypte une époque pas si innocente que cela qui a vu l’émergence d’une nouvelle conscience politique et a bien failli réaliser cette utopie que les révolutionnaires qualifient volontiers de convergence des luttes. Avec un jeune opposant aux cheveux longs nommé… John Kerry et une réaction en chaîne qui incite les États-Unis à soutenir le Pakistan au moment de la partition du Bengladesh, sous l’effet de la Guerre Froide. Avec en guise de point d’orgue le premier concert caritatif organisé au Madison Square Garden à l’initiative de George Harrison et de Ravi Shankar, en présence d’invités tels que Bob Dylan ou Eric Clapton.




1971, c’est aussi l’année de l’inauguration des tours jumelles du World Trade Center. Symbole éphémère de la toute-puissance de l’Amérique sur un monde en ébullition où, pour la première fois dans l’histoire, la paix essaie d’affirmer son ascendant sur la guerre. Paradoxalement, c’est aussi le moment où le Flower Power sombre dans la violence, où la jeunesse noie ses illusions dans la drogue et où les minorités revendiquent leur identité raciale et sexuelle. Marc Bolan et Alice Cooper en Angleterre, Carole King et Tina Tuner aux Etats-Unis, Bob Marley à la Jamaïque et Kraftwerk en Allemagne dessinent les contours flous d’une révolution mondiale qui va voir la musique devenir électronique et les ordinateurs accéder au pouvoir dans tous les domaines. C’était il y a un demi-siècle… c’est-à-dire hier. Cette série a le mérite de montrer l’impact de la musique sur la société, sans occulter aucun des enjeux majeurs de ce qui s’avèrera avoir été une lame de fond générationnelle.

Jean-Philippe Guerand



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