Film américain de Sofia Coppola (2020), avec Rashida Jones, Bill Murray, Marlon Wayans, Jenny Slate, Jessica Henwick, Nadia Dajani, Liyanna Muscat, Anna Reimer… 1h36. Mise en ligne sur Apple TV le 23 octobre 2020.
S’il est un droit auquel peut aspirer légitimement tout créateur, c’est la liberté. Sofia Coppola a toujours transigé avec les dogmes en revendiquant une certaine insouciance qu’elle a l’honnêteté d’assumer sans états d’âme. Quitte à énoncer quelques vérités sous couvert de ne prétendre à rien. On the Rocks recycle ainsi les conventions de la comédie sentimentale hollywoodienne avec une remarquable habileté. Convaincue que son mari le trompe, une mère au foyer qui a sacrifié ses ambitions au carriérisme de monsieur décide de confier ses états d’âme au plus insolite des confidents : son propre père, un jouisseur plutôt détaché de ses devoirs familiaux qui a cessé de s’accrocher à la force des sentiments. Sur la piste d’une vérité pas si dérangeante que ça, ils vont se découvrir en s’ouvrant l’un à l’autre comme jamais auparavant.
Le sous-texte d’On the Rocks est une critique plutôt acerbe du mode de vie d’une bourgeoisie repliée autour de son nombril dont l’évolution passe par l’intégration du mariage interracial en tant que norme dans un pays qui n’a pourtant digéré ni les droits civiques ni même, dans le Sud profond, l’abolition de l’esclavage. Assumant sans vergogne son statut de fille de…, Sofia Coppola associe pour cela la talentueuse Rashida Jones (fille prodigue de Quincy) et le séduisant Marlon Wayans (lui-même héritier d’une dynastie d’artistes), avec en joker de luxe le toujours narquois Bill Murray (nommé au Golden Globe du meilleur second rôle masculin pour sa savoureuse composition) dans cet emploi de misanthrope désabusé qui avait déjà porté bonheur à la réalisatrice dans Lost in Translation (2003) dont l’affiche française inspire d’ailleurs clairement celle d’On the Rocks, les deux films investissant pourtant des registres assez différents.
Les dialogues sont souvent savoureux et égrènent, mine de rien, quelques constatations lucides sur un désordre amoureux qui n’a en fait rien de bien nouveau. Le scénario tord le cou à pas mal de clichés et réussit la prouesse d’étirer à l’envi un argument qui ne constituerait sans doute ailleurs qu’un simple rebondissement parmi d’autres. Résultat : le spectateur se sent comme interpellé personnellement par cette histoire intime et croit parfois reconnaître en ces protagonistes des personnages tels qu’il a pu lui arriver d’en croiser. C’est le talent de Sofia Coppola de ne s’embarrasser d’aucune des contraintes qui plombent trop souvent les films de ses consœurs et confrères pour se/nous faire plaisir. Peut-être est-ce dans cette détermination à toute épreuve qu’il faut voir sa spécificité de réalisatrice. Mission joliment accomplie, en tout cas.
Jean-Philippe Guerand
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