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“The Professor and the Madman” de P. B. Shemran




Film anglo-américain de P. B. Shemran (Farhad Safinia) (2019), avec Mel Gibson, Sean Penn, Eddie Marsan, Natalie Dormer, Jennifer Ehle, Steve Coogan, Stephen Dillane, Jeremy Irvine, Anthony Andrews… 2h04. Mise en ligne sur Filmo TV, Orange VOD, Canal VOD et UniversCiné le 3 décembre 2020.



Natalie Dormer



Face à la réalité, la fiction ne possède que peu d’arguments. La genèse du célèbre dictionnaire de la langue anglaise entrepris par l’université d’Oxford appartient à ces facéties étonnantes de l’histoire, quand James Murray un autodidacte polyglotte s’est vu charger de superviser ce labeur considérable à partir de 1878. Ce fils de cordonnier devenu lexicographe a en outre accepté pour cela le concours spontané de William Chester Minor, un médecin militaire américain détenu pour le meurtre d’un homme qu’il avait pris pour son tourmenteur imaginaire et dont la propre veuve deviendra l’une de ses plus sûres alliées. Des efforts conjugués de ce paranoïaque amoureux des livres et de ce passionné des mots est né le livre de Simon Winchester Le fou et le professeur devenu aujourd’hui un film qui assume son académisme formel, mais s’est donné les moyens de ses ambitions. À commencer par deux acteurs-réalisateurs barbichus que tout sépare a priori dans leur vision même de la société : Mel Gibson, que ses positions controversées ont éloigné des écrans, et Sean Penn, qui traîne avec lui une solide réputation d’idéaliste. The Professor and the Madman marque leur première rencontre dans une Angleterre victorienne telle que l'a immortalisée Charles Dickens (mort en 1870) dans ses romans.



Mel Gibson et Sean Penn



Présenté hors compétition au dernier festival de Deauville, ce film doit sans doute à son classicisme un peu vieillot de ne pas avoir bénéficié d’une sortie en salles. Dissimulé sous le pseudonyme de P. B. Shemran, le réalisateur d’origine iranienne Farhad Safinia (qui avait déjà collaboré avec Gibson au script d’Apocalypto) n’a pourtant pas à rougir de servir son histoire et de tirer le meilleur parti d’un casting qui offre par ailleurs de solides seconds rôles à des personnalités du cinéma britannique aussi aguerries qu’Eddie Marsan, Steve Coogan, Stephen Dillane, Anthony Andrews, Jeremy Irvine ou Natalie Dormer. The Professor and the Madman orchestre une folle chasse aux mots où chacun des élus doit être traçable pour être authentifié et entrer ainsi dans ce dictionnaire qui deviendra ainsi un ouvrage de référence irréprochable à l’épreuve du temps. Un travail de bénédictin mené à bien grâce à une méthodologie révolutionnaire qui conditionne la validité de chaque terme à des références littéraires établies.



Eddie Marsan et Mel Gibson



Certes, la mise en scène pourra être taxée de purement fonctionnelle, mais elle a le mérite de mettre en valeur la fièvre qui ronge les deux protagonistes principaux et de nous entraîner dans un univers rarement exploré par le septième art pour lequel la littérature représente toujours un défi en termes de représentation, lecture et écriture demeurant des activités cérébrales bien peu propices au spectaculaire. Au-delà du fameux vertige de la page blanche qui demeure un écueil indiscutable, jamais vraiment résolu à ce jour, sinon peut-être dans Shining (1980) de Stanley Kubrick, sur le registre extrême d’une tempête sous un crâne, The Professor and the Madman conte une aventure qui relève au fond davantage du décryptage des hiéroglyphes voire de l’exploration d’une planète inconnue par des puristes au service de la postérité. Le spectacle n’en est pas moins agréable en très bonne compagnie.

Jean-Philippe Guerand




Sean Penn

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