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“David Byrne’s American Utopia” de Spike Lee




Film américain de Spike Lee (2020), avec David Byrne, Jacqueline Acevedo, Gustavo di Salva, Daniel Freedman, Chris Giarmo, Tim Keiper, Stéphane San Juan… 1h41. Mise en ligne sur Filmo TV, Orange VOD et Canal VOD le 3 mars 2021.





David Byrne fait partie de ces bateleurs qui ont toujours considéré leur art comme une arme politique de dissuasion massive. Hier au sein des Talking Heads (1975-1991), aujourd’hui en solo, mais bien entouré par des musiciens venus des États-Unis, du Canada, du Brésil, mais aussi de France (Stéphane San Juan de Montpellier). Sur scène, il ne se contente pas de chanter, mais joue les bateleurs en s’adressant à un auditoire d’avant la pandémie qui vient aussi pour écouter sa parole parfois subversive sur des thèmes multiples. C’est cet artiste polymorphe dont Spike Lee a filmé en 2019 le dernier spectacle en s’appuyant sur une mise en scène particulièrement élégante sur le plan visuel. Il faut se rappeler à ce propos que Byrne a lui-même signé True Stories (1986), un long métrage resté sans lendemain qui se réclamait autant sur le plan esthétique de la photographe Cindy Sherman que du réalisateur Jim Jarmusch par sa fausse nonchalance pince sans rire.





Autres temps, autres mœurs, dans l’Amérique de Trump, le point commun entre Byrne, qui milite activement pour que ses compatriotes accomplissent leur devoir électoral (le taux de participation aux municipales n’est que de… 20% pour un âge moyen de 57 ans !), et Lee, dont BlackKklansman prophétisait le mouvement Black Lives Mattter, consiste à représenter une minorité d’intellectuels engagés. L’un et l’autre luttent activement contre la décérébration programmée du peuple et les Fake News colportées par ce Président des réseaux sociaux qui a porté le plus sévèrement atteinte à l’intégrité de la fameuse démocratie américaine en deux siècles et demi. Sur le plan artistique, chevelure argentée et pieds nus, ce diable narquois mais jamais caustique de David Byrne prouve en interprétant ses titres les plus célèbres qu’il reste un novateur à l’épreuve du temps, capable de reprendre une composition dadaïste de Kurt Schwitters sur une scène de Broadway, une Protest Song entonnée par Janelle Monáe pour la Marche des femmes de Washington, qu’il qualifie de « requiem pour des vies volées », ou d’être l’épicentre d’une chorégraphie géométrique à dominante anthracite.





Ce David Byrne’s American Utopia revigorant est un concentré de dynamisme et d’intelligence qui distille un bonheur immédiat et presque anachronique. La superbe mise en images de Spike Lee s’y met au service d’un show de très haute tenue, grâce à une logistique impeccable, que ce soit au ras de la scène, en surplomb ou au fil de mouvements virevoltants. Du spectacle vivant qui crève l’écran avec une euphorie communicative et donne des fourmis dans les jambes. À savourer sur le plus grand écran possible et dans une configuration audio optimum. Parce que chez ce gourou païen de Byrne, il y a comme toujours autant à voir qu’à écouter et rien qui ne se dit, ne se chante et ne se montre n’est anodin de la part de cet activiste de 68 ans tiré à quatre épingles. Et le chanteur de repartir du concert à vélo.

Jean-Philippe Guerand


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