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Berlinale Jour 5 - Vendredi 5 mars 2021




Albatros de Xavier Beauvois (Compétition)

Avec Jérémie Rénier, Marie-Julie Maille, Madeleine Beauvois… 1h55

Officier de gendarmerie dans le Pays de Caux, Laurent est confronté quotidiennement aux pires turpitudes, qu’il s’agisse d’un suicide du haut de la falaise d’Étretat ou d’accusations de viol sur mineure voire d’inceste. Son uniforme ne lui permet toutefois pas de se substituer aux services sociaux et d’assumer toute la misère du monde, malgré son empathie spontanée. Alors quand un agriculteur désespéré menace de mettre fin à ses jours, ce sont toutes ces certitudes qui volent en éclats. Avec ce huitième film en trente ans, le réalisateur de Des hommes et des dieux témoigne du monde qui l’entoure et prend pour cadre une région où il a choisi d’habiter, loin du fracas de la vie parisienne. Il confie les rôles de la compagne et de la fille de son personnage principal à celles qui partagent son existence au quotidien et célèbre le dévouement de ces femmes et de ces hommes en uniforme qui veillent jour et nuit sur la société, quitte à porter parfois le poids du monde. Jérémie Rénier est prodigieux d’intensité dans ce rôle écrasant, Beauvois s’attardant volontiers sur son visage qui traduit de façon saisissante ses états d’âme quand les mots s’avèrent dérisoires. Albatros est la radiographie implacable d’une société aux abois (d’avant la Covid-19) où l’homme ne possède pas toujours la résilience suffisante pour secourir ses prochains, mais a toujours la capacité de s’accrocher à ses rêves.


Jérémie Rénier

© Guy Ferrandis




Je suis Karl de Christian Schwochow (Berlinale Special)

Avec Jannis Niewöhner, Luna Wedler, Fleur Geffrier, Milan Peschel… 2h06

Est-ce en raison de son titre, Je suis Karl, qui sonne comme une déclinaison allemande de Je suis Charlie ? Est-ce à cause de son sujet, une attaque terroriste jette une rescapée dans les bras de l’extrême droite ? Le nouveau film de Christian Schwochow (remarqué successivement pour Paula et La leçon d’allemand) instaure un malaise indéfinissable qui nous atteint sans doute davantage, nous Français, que nos voisins, ne serait-ce que parce que les attaques de l’année 2015 ont traumatisé durablement nos compatriotes, sans que rien ne soit vraiment résolu. Parce qu’il a laissé un coursier dans son immeuble, un père de famille va perdre son épouse et ses jumeaux, tandis que sa fille aînée peine à se remettre de son traumatisme. Qui trop embrasse mal étreint. Conçu comme une mise en garde, le scénario de Thomas Wendrich a beau éviter l’amalgame entre immigration (la famille a ramené de ses vacances un clandestin syrien) et montée du fascisme, il a recours pour cela à des artifices pas toujours très heureux. Reste tout de même la composition impeccable de l’actrice suisse Luna Wedler qui faisait partie des nouveaux visages mis en avant par la Berlinale en 2018.


Luna Wedler et Jannis Niewöhner
© Sammy Hart / Pandora Film




A Balance (Yuko No Tenbin) de Yujiro Harumoto (Panorama)

Avec Kumi Takiuchi, Ken Mitsuishi, Yuumi Kawai, Masahiro Umeda; Yohta Kawase… 2h32

Si le cinéma est le reflet de la société qu’il met en scène, le Japon n’est guère plus épargné que les autres pays. Documentariste, Yukio réalise un film sur les familles endeuillées, à partir du cas d’une écolière qui s’est suicidée. Déterminée à mener l’enquête, elle se voit désavouée par son producteur qui exige des coupes, alors même qu’elle réussit à pousser certains intervenants dans leurs ultimes retranchements pour faire éclore une vérité qui dérange et va la contraindre à assumer des choix lourds de conséquences. Comme son titre international le souligne, A Balance est un film en équilibre précaire dans lequel s’insinue petit à petit la personnalité du père de Yukio, directeur d’école qui va faire évoluer son point de vue. Par son traitement délibérément réaliste et son usage systématique de la caméra à l’épaule et du plan séquence, il désigne Yujiro Harumoto comme un émule de Hirokazu Kore-eda, alors même qu’il a effectué paradoxalement son apprentissage dans le cadre du cinéma le plus commercial qui soit, au sein même du studio Shochiku de Kyoto. Déjà primé à Busan, son deuxième film s’impose à la fois par sa maîtrise et sa maturité.


Kumi Takiuchi et Ken Mitsuishi
© Eigakobo Harugumi




Tzarevna Scaling (Doch rybaka) d’Uldus Bakhtiozina (Forum)

Avec Alina Korol, Victoria Lisovskaya, Valentina Yasen, Uldus Bakhtiozina, Kseniya Popova-Penderetskaya, Maria Pavlova, Adeliya Severinova, Albina Berens, Ekaterina Kasatkina… 1h10

Une marchande de poisson voit débarquer devant son food truck une véritable poupée en quête de nourriture pour ses chats. S’ensuit une visite guidée au royaume légendaire des tsareven, ces reines de beauté conditionnées pour plaire qui sommeillent en chaque employée de bureau. Passé une entrée en matière traitée sur un mode naturaliste assumé, le premier long métrage de la réalisatrice Uldus Bakhtiozina nous entraîne dans un imaginaire bariolé où la séduction va de pair avec un humour débridé. Ce premier film intemporel puise son inspiration au cœur même du folklore russe, en multipliant les anachronismes cocasses et les chorégraphies les plus improbables. Au point que Tzarevna Scaling déborde des limites habituelles du cinéma pour brasser des influences esthétiques multiples, toujours avec la même détermination iconoclaste. Il est l’œuvre d’une créatrice polyvalente russe qui s’est fait connaître par des projets audacieux dans des domaines aussi variés que la photo, la décoration et les costumes sur un registre qu’elle qualifie elle-même de… baroque tatar. Elle rassemble ici ses multiples talents dans le domaine des arts visuels pour sertir un bijou cinématographique qui ne ressemble vraiment à aucun autre par sa folie et sa liberté. On en retiendra des images inoubliables, qu’il s’agisse de ces babouchkas dans la neige, de ces hommes en tutus ou de ces femmes surmontées de têtes de cygnes disputant un bras de fer au bord d’une piscine.


Adelia Severinova, Uldus Bakhtiozina, Maria Pavlova

© Uldus Bakhtiozina




The Good Woman of Sichuan (Sichuan hao nuren) de Sabrina Ruobing Zhao (Forum)

Avec Weihang He, Sabrina Zhao, Sherry Wu… Documentaire. 1h10

Le titre international de ce film réalisé par une Chinoise qui se partage entre Chengdu, Abu Dhabi et Toronto fait évidemment écho à La bonne âme du Se-Tchouan” (1938-1940), sans être pour autant ni une fiction conventionnelle, ni une adaptation de la pièce de Bertold Brecht dont une actrice prépare pourtant une mise en scène dans une petite ville de cette province. C’est le lieu où se rend en pèlerinage une jeune femme dont le mari était originaire. Le film emprunte une forme singulière où la réalité se télescope contre l’imaginaire, sans que le spectateur soit toujours en mesure de savoir si son vagabondage contemplatif relève de la réalité ou de la fiction. La démarche a beau être expérimentale, elle sert à la cinéaste à exprimer deux de ses caractéristiques personnelles : le sentiment de l’exil et la sensation de sa féminité. Tout cela dans un contexte spatio-temporel déstructuré au sein duquel elle ne nous livre que des fragments épars en laissant chacun libre de les ordonner et même de les interpréter comme il l’entend. The Good Woman of Sichuan échappe au dogme de la narration et brise les conventions du cinéma traditionnel. C’est une expérience qui se mérite, mais peut beaucoup apporter en contrepartie sur le plan émotionnel.


© Sabrina Zhao




Esqui de Manque La Banca (Forum)

Documentaire. 1h14

Étrange projet que ce documentaire de création argentin qui prend prétexte d’exalter le ski pour se laisser submerger par d’étonnantes divagations. Tout est loin d’être limpide dans cette narration syncopée dont l’auteur formé aux beaux-arts procède un peu comme s’il composait une œuvre polyphonique. Sous la neige de la station de ski de Bariloche se cachent les spectres d’une histoire très ancienne racontée au rythme d’une techno parfois envahissante. Passé par la photo et la pratique des formats super-huit et du 16mm qu’il développe dans son laboratoire personnel, Manque La Banca évoque la mémoire de sa ville natale à travers des digressions volontiers saugrenues, aboutissement logique des installations audiovisuelles interactives qui l’ont fait connaître sur le plan international. Son propos dans Esqui consiste à établir un rapport de causalité entre la colonisation primitive de Bariloche et son statut de station de sports d’hiver la plus huppée d’Amérique latine, en s’attachant au sort des employés chargés d’assurer leur confort. Le tout dans un site réputé mystique où règne un régime binaire. Difficile de s’attacher réellement à cette expérience de laboratoire parfois franchement ennuyeuse.


Fernando Gabriel Eduard et Axel Nahuel Villegas
© Manque La Banca





Moon, 66 questions de Jacqueline Lentzou (Rencontres)

Avec Sofia Kokkali, Lazaros Georgakopoulos… 1h48

Artemis revient à Athènes après des années d’absence pour dire adieu à son père dont la santé s’est dégradée. Ce retour aux sources va la faire changer plus qu’elle ne l’avait imaginé, tandis que sa présence suscite une rémission inattendue du malade envers lequel ses sentiments vont évoluer du tout au tout à l’annonce d’un secret dévoilé. Cet apprentissage de l’amour filial est porté par la comédienne Sofia Kokkali qui porte quasiment sur ses épaules le premier long métrage d’une réalisatrice férue de poésie dont elle est devenue la muse et la madone avec deux courts préalables. Jacqueline Lentzou a de toute évidence mis beaucoup de sensations intimes dans ce film d’apprentissage dont l’héroïne apparaît beaucoup moins sûre d’elle que ne tendent à le faire croire les certitudes qu’elle affiche pour se préserver. Moon, 66 questions est la chronique d’une rédemption à travers le passage à l’âge adulte d’une jeune femme que la révélation d’un secret de famille va libérer de ses inhibitions. Un film très personnel dans lequel la cinéaste grecque a visiblement investi une part conséquente de son vécu personnel.


Sofia Kokkali





Any Day Now (Ensilumi) de Hamy Ramezan (Génération)

Avec Aran-Sina Keshvari, Shahab Hosseini, Shabnam Ghorbani, Kimiya Eskandari… 1h22

Dans l’attente d’obtenir son permis de séjour en Finlande, une famille iranienne mène une vie sans histoire dans une cité de migrants où se côtoient de multiples nationalités. Ils y bénéficient d’un confort bourgeois qui dénote avec les conditions réservées à ce type de population dans des pays moins accueillants, mais continuent à vivre selon leurs coutumes, sans que quiconque y trouve à redire. Et c’est la même chose pour tous les occupants de cet immeuble de transit. Le fils aîné Ramin s’est quant à lui déjà fort bien intégré grâce à ses camarades de classe et vit son adolescence avec insouciance, fasciné par une jeune fille qu’il croise régulièrement à un cours de danse. Derrière l’apparence trompeuse du Teen Movie se cache en fait une réflexion plus profonde sur le sort réservé par l’Europe à tous ces damnés de la terre qui sollicitent son hospitalité. Ce film bourré de bons sentiments entend s’adresser à des spectateurs qui ont l’âge de ses jeunes protagonistes et prend en quelque sorte le contrepied des œuvres à thèse militantes que suscite régulièrement cette thématique déclinée dans à peu près tous les pays occidentaux. Le mérite en revient à un scénario qui préfère au sensationnalisme des scènes de la vie quotidienne parfois anodines, à l’image d’un anniversaire ou d’une boum. Quitte à sacrifier la tradition du Happy End.

Jean-Philippe Guerand


Kimiya Eskandari, Shabnam Ghorbani, Aran-Sina Keshvari et Shahab Hosseini
© Aamu Film Company



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