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Berlinale Jour 1 - Lundi 1er mars 2021


Du 1er au 5 mars 2021 se déroule une 71e Berlinale en ligne dont la plupart des sections, habituellement pléthoriques, se sont astreintes à une cure d’amincissement. Au terme de ces cinq journées sera proclamé le palmarès officiel des différents jurys, lesquels auront visionné les films en comité restreint mais sur grand écran. La manifestation connaîtra une seconde édition du 9 au 20 juin au cours de laquelle les prix seront décernés et les films montrés en salle, en présence de leurs équipes, dans la mesure du possible. Sous réserve d’une amélioration de la situation sanitaire et dans des conditions de sécurité maximum. Nous avons choisi de vous présenter ici un échantillonnage parfaitement subjectif de la manifestation au sein de laquelle les documentaires occupent cette année une place de choix, le processus de féminisation impulsé par le mouvement #MeToo commençant visiblement à porter ses fruits à travers l’émergence de réalisatrices venues d’horizons fort divers.




© L'Atelier documentaire



À pas aveugles de Christophe Cognet (Forum)

Documentaire. 1h49

Une ondée sur une flaque exhume de petits granulés blancs. Une main s’en saisit, tandis qu’une voix nous explique qu’il s’agit de minuscules débris d’os humains qui remontent des entrailles de la terre après chaque averse. Depuis huit décennies et sans doute pour longtemps encore. C’est à peu près tout ce qui reste d’un camp d’extermination dont les Nazis voulaient effacer toute trace. Mais c’était sous-estimer la puissance de la terre devenue charnier. Déjà remarqué pour son documentaire poignant sur les artistes qui ont continué à créer dans les camps de concentration, Parce que j’étais peintre (2013), Christophe Cognet prolonge le devoir de mémoire de Claude Lanzmann en célébrant des héros de l’ombre : ces déportés qui sont parvenus à photographier le théâtre de leur martyr et à transmettre leurs clichés aux survivants. Pour qu’ils ne puissent pas oublier. Un sujet auquel il avait déjà consacré le livre Éclats, sous-titré Prises de vue clandestines des camps nazis paru en 2019 au Seuil. Cognet retrace les circonstances qui ont présidé à la réalisation de chacune de ces photos précieusement conservées comme des lambeaux de mémoire et montre les trésors d’imagination déployés pour laisser un témoignage, aussi ténu soit-il, alors même que les Nazis entendaient effacer toute trace de leurs crimes. Il n’hésite pas pour cela à plaquer ces photos en transparence dans le cadre où elles ont été réalisées, afin d’en établir l’historique précis. Jusqu’à ce cliché inouï pris de l’intérieur même d’une chambre à gaz. Comme un témoignage en provenance de l’enfer. À pas aveugles est un film essentiel, conçu à la fois comme une quête historique et un legs précieux offert à la postérité.



© Burn the Film



A River Runs, Turns, Erases, Replaces de Shengze Zhu (Forum)

Documentaire. 1h27

Ce documentaire débute dans un silence total pour se poursuivre dans une ambiance sonore arrachée au quotidien. Soudain une sirène retentit et la vie se fige. Seul un photographe bondit pour immortaliser ce moment. Comme si les passants alentour se mettaient à jouer à “Un, deux, trois, soleil !” sous le regard d’une caméra de surveillance. Plan fixe après plan fixe, on voit vivre une ville chinoise comme les autres. Une mégapole dont les gratte-ciels modernes empêchent de voir les bâtiments plus modestes. Des conversations hors champ dressent le portrait d’un endroit où il fait bon vivre. À cette nuance près que ces images proviennent de Wuhan, le point de départ de la pandémie de Covid-19. Le film n’aborde pas ce sujet frontalement et préfère montrer le quotidien d’une population qui n’est pas encore dans l’œil du cyclone et n’a pas déserté les rues. Des gens qui s’attroupent en famille au bord du fleuve Yangtze. Rares sont les personnes masquées. Ces scènes de la vie quotidienne se déroulent comme hors du temps… Pourtant les premières images auraient dû nous alerter. Le témoignage prend en effet une valeur ajoutée par sa localisation géographique. Des mots extraits de lettres d’exil ressuscitent le temps d’une insouciance pas si lointaine. A River Runs, Turns, Erases, Replaces nous invite à un voyage envoûtant dans un monde qui n’existe déjà plus. Mais ça, la réalisatrice chinoise Shengze Zhu ne le savait pas quand elle a filmé les espaces urbains de cette ville devenue méconnaissable qu’elle a quittée en 2010 pour s’installer à Chicago. Cette histoire sans paroles se révèle envoûtante par sa force de résilience.




Joaquim Veríssimo Calçada

© Terratreme Filmes



Jack’s Ride (No táxi do Jack) de Susana Nobre (Forum)

Avec Joaquim Veríssimo Calçada, Armindo Martins Rato, Maria Carvalho… Documentaire. 1h10

À la soixantaine dépassée, Joaquim Calçada doit répondre à des annonces et postuler à des offres d’emploi pour maintenir ses droits au chômage avant de jouir enfin d’une retraite bien méritée. Ce vieux beau dont les cheveux gominés et le perfecto évoquent Elvis Presley a émigré du Portugal aux États-Unis où il a expérimenté la grandeur et la décadence du rêve américain au fil des crises économiques successives et au volant du taxi qu’il conduisait à New York. Jack’s Ride nous donne à partager le quotidien de cet homme victime d’un système inepte. C’est le portrait formidable d’un homme simple qui n’a que des aspirations raisonnables. Une autre idée du bonheur, en quelque sorte. Avec un personnage charismatique en diable, mais d’une humilité désarmante, qui semble avoir retenu de ses épreuves une profonde philosophie de la vie, mais ni aigreur ni rancœur. Une belle leçon de vie, en quelque sorte.




John Russel Rey “Reyboy” Paño

© Venice Atienza



Last Days at Sea de Venice Atienza (Génération)

Avec John Russel Rey “Reyboy” Paño, Venice Atienza… Documentaire. 1h10

C’est l’histoire d’un petit garçon qui passe son dernier été dans son village de pêcheurs isolé de Kahiratag, au sud des Philippines avant de suivre ses frères pour partir étudier en ville en entrant dans l’adolescence. C’est aussi la chronique de l’amitié qui s’est établie entre la réalisatrice Venice Atienza et ce gamin insouciant qui ne manifeste aucune appréhension vis-à-vis de l’avenir. Il y a chez ce petit John Russel Rey Paño dit “Reyboy” toujours souriant quelque chose de l’innocence préservée que Robert Flaherty avait si bien immortalisée dans Nanouk l’esquimau il y a près d’un siècle. Ce paradis en passe d’être perdu est ici l’écrin d’une complicité entre celle qui l’observe et celui qui en devient le personnage principal. Last Days at Sea se situe aux confins du documentaire touristique, mais capte des moments magiques où le gamin s’émerveille de la nature qui l’a vue grandir sans vraiment appréhender l’inconnu qui s’ouvre devant lui. Une impression qui passe par une observation minutieuse de ce cadre de rêve trompeur à bien des égards, ne serait-ce que parce qu’il se trouve particulièrement exposé aux dérèglements climatiques. Reste maintenant à Venice Atienza de continuer à suivre la mue de Reyboy jusqu’à l’âge adulte. C’est l’envie que donne son film.




Maria Fedorchenko

© Oleksandr Roshchyn



Jeunesse en sursis (Stop-Zemlia) de Kateryna Gornostai (Génération 14Plus)

Avec Maria Fedorchenko, Arseni I Markov, Yana Isaienko, Oleksandr Ivanov… 2h02

Ours de cristal

À en croire ce premier film ukrainien qui s’attache aux élèves d’une classe de première à travers l’amitié de trois adolescents anticonformistes, les tourments de la jeunesse sont universels. Lycéenne introvertie, Macha sort de son isolement en sympathisant avec Yana et Senia qui lui ressemblent par leur refus de la norme. Le regard que porte la réalisatrice Kateryna Gornostai sur l’âge ingrat, qui est aussi celui de tous les possibles, est d’autant plus attachant qu’il prend pour cadre un pays sous la menace permanente d’un conflit armé où les garçons se partagent entre des Shoot’em’up et des films de guerre. Comme un conditionnement à leur conscription. C’est dans ses propres souvenirs que la cinéaste a puisé l’inspiration de Stop-Zemlia et notamment le personnage campé par Maria Fedorchenko sur un registre ô combien délicat. Elle a toutefois pris soin d’interroger deux cents adolescents d’aujourd’hui pour creuser leurs préoccupations actuelles et donner un précieux supplément d’âme à ses protagonistes. D’où la justesse de cette chronique sensible qui préfère jouer la carte du naturel que du sensationnel pour dépeindre les états d’âme d’une génération en devenir. Un premier film prometteur.




Kristine Kujath Thorp et Nader Khademi
© Otlys



Ninjababy d’Yngvild Sve Flikke (Génération 14Plus)

Avec Kristine Kujath Thorp, Nader Khademi, Arthur Berning, Tora Dietrichson, Silya Nymoen, Herman Tømmeraas… 1h43

Mention spéciale

Confrontée à une grossesse dont elle n’a pris conscience qu’au bout de six mois, dans un superbe déni, Rakel, 23 ans, ne veut vraiment pas de ce bébé né de l’affaire d’une nuit, alors que son compagnon accepte tout à fait quant à lui de ne pas être le père biologique de son bébé. Situation baroque qui se complique lorsque se mêle de ce qui ne le regarde pas Ninjababy, un personnage d’animation qui se comporte comme la mauvaise conscience de Rakel et ne cesse de faire irruption dans sa vie pour essayer de la faire grandir. La singularité de cette comédie sentimentale inspirée d’un roman graphique repose sur sa forme délibérément iconoclaste et la personnalité immature de son héroïne qui décide de faire adopter le fruit de ses entrailles, faute d’être dans les temps pour se faire avorter. Sous la légèreté affleure une réflexion plus profonde qu’il n’y paraît sur la maturité portée par une comédienne norvégienne étonnante, Kristine Kujath Thorp, qui a par ailleurs elle-même écrit et illustré un livre pour enfants à succès. Elle confère par sa fantaisie et sa sensibilité un supplément d’âme important à ce personnage entre deux âges contraint de mûrir pour s’assumer en tant que femme adulte et responsable.





© Tanya Haurylchyk



From the Wild Sea (Fra det vilde hav) de Robin Petré (Génération 14Plus)

Documentaire. 1h18

Au plus fort de l’hiver, des sauveteurs volontaires originaires de toute l’Europe convergent vers les côtes britanniques afin de les nettoyer de tout ce qui peut nuire à l’écosystème et mettre en péril la faune locale, à commencer par le plastique et les oléagineux. Entre ces scientifiques et ces médecins unis pour une même cause et les animaux qu’ils soignent avant de les réintégrer dans leur milieu naturel, s’établit une complicité étonnante qui évoque une sorte de retour aux sources. Avec en point d’orgue ce rituel empathique de remise à flots qui voit affluer la population locale armée d’appareils photo. From the Wild Sea est un documentaire de création aux images souvent sublimes qui rend une certaine confiance en l’humanité. Ses protagonistes y manifestent une générosité désintéressée qui nous concerne tous dans notre rapport au monde qui nous entoure. Le film du danois Robin Petré donne le sentiment peut-être illusoire que tout n’est pas perdu si l’homme entreprend de rendre à la nature ne serait-ce qu’une part infime de ce qu’il a cru bon de lui prendre au fil des millénaires passés. Le spectacle d’une baleine de vingt mètres de long soignée sur la plage où elle s’est échouée ou du sauvetage massif de plusieurs centaines de cygnes blancs menacés par une marée noire aux Pays-Bas justifie en soi ce film destiné à éveiller les consciences.




© Prophecy Films



As I Want de Samaher Alqadi (Rencontres)

Documentaire. 1h28

On sait depuis Les femmes du bus 678 (2010) de Mohamed Diab combien les mâles égyptiens perpétuent des comportements d’un autre âge dans un pays où les agressions sexuelles et le harcèlement constituent des maux endémiques encore très peu pénalisés jusqu’à une époque récente. C’est ce qu’entreprend de dénoncer Samaher Alqadi dans As I Want, en s’appuyant sur son propre conditionnement éducatif. Elle montre combien le rôle des femmes a été déterminant dans la révolution en partant des images insoutenables d’une manifestante victime d’un viol collectif au vu et au su de tous parmi la foule massée place Tahrir. À ce titre, les séquences au cours desquelles elle traverse le Caire et se défend contre le harcèlement de rue le plus grossier s’avèrent édifiantes quant à l’immaturité des hommes que leurs propres mères élèvent dans le mépris de la femme. Un paradoxe insupportable qui renvoie Samaher Alqadi au conditionnement de soumission induit par sa propre éducation, au moment où elle-même se trouve enceinte d’un garçon qu’elle espère porteur d’espoir. Au-delà de sa réflexion purement politique sur une perpétuation de la dictature militaire qui ne facilite pas l’évolution d’une société patriarcale d’un autre âge, As I Want propose un entrelacs fascinant de niveaux de lecture et d’analyse qui témoigne du courage de sa réalisatrice, aussi prompte à répondre à la provocation de jeunes machos à mobylette qu’à mobiliser ses compatriotes pour qu’elles cessent de se soumettre aveuglément au Diktat des hommes. Édifiant !

Jean-Philippe Guerand

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