The White Tiger Film indo-américain de Ramin Bahrani (2020), avec Adarsh Gourav, Rajkummar Rao, Priyanka Chopra, Mahesh Manjrekar, Vijay Maurya, Nalneesh, Vedant Sinha… 2h05. Mise en ligne sur Netflix le 22 janvier 2021.
Adarsh Gourav, Priyanka Chopra et Rajkummar Rao
En se déployant à travers toute la planète, Netflix s’est donné la capacité d’offrir à ses abonnés une immense fenêtre sur le monde dont aucune chaîne de télévision n’a à ce jour été capable. Au point de pratiquer des métissages artistiques fertiles en brassant les cultures et en accumulant les talents. Ramin Bahrani en devient aujourd’hui le nouveau symbole. De ce réalisateur prolifique dont très peu de films ont à ce jour été distribués en France, pas même 99 Homes (2014), chronique de la misère entraînée par la crise des subprimes qui lui a valu le Grand Prix spécial à Deauville, mais n’est sorti qu’en vidéo, on sait qu’il est né en Caroline du Nord dans une famille d’immigrés iraniens. Son œuvre est néanmoins placée sous le signe de la critique sociale, qu’il s’attache à un chanteur de rock pakistanais reconverti comme vendeur à la sauvette dans les rues de Manhattan (Man Push Cart, 2005), à un gamin des rues du Queens (Chop Shop, 2007) ou signe une libre adaptation du célèbre roman de Ray Bradbury Fahrenheit 451 (2018). Il s’imposait donc d’autant plus comme l’homme idéal pour porter à l’écran le best-seller d’Aravind Adiga Le tigre blanc que son auteur affirme avoir pris la décision de devenir écrivain après avoir découvert le premier film de son ami Bahrani à qui il a d'ailleurs dédié son livre.
Un jeune homme pauvre quitte son village pour entrer comme chauffeur au service d’une famille d’expatriés de retour en Inde après avoir fait fortune. Là, il va prendre conscience des injustices sociales qui interdisent aux pauvres de son pays d’échapper à leur condition et décider d’exploiter cette malédiction endémique à son profit. Quitte à s'identifier au tigre blanc, ce fauve aussi rare que redoutable, en troquant pour cela son innocence contre un soupçon de cynisme et en donnant un petit coup de pouce au destin… Le tigre blanc incarne en quelque sorte la rencontre d’Hollywood et de Bollywood, dans le prolongement de ces petits cailloux blancs qu’ont pu semer au fil du temps Gandhi (1982), La route des Indes (1984) ou Slumdog Millionaire (2008), sans mentionner des comédies exotiques telles qu’Indian Palace (2011) ou Confident royal (2017). De l’association d’un immigré iranien de la deuxième génération et d’un globe-trotter d’origine indienne est né un film qui incarne peut-être le cinéma de demain par son caractère résolument universaliste. Son succès pourrait bien faire bouger les lignes de façon durable et abolir certaines frontières artistiques déjà mises à mal par l’essor du streaming.
Le tigre blanc décrit l’hégémonie de l’Inde urbaine, à travers les regards croisés d’un jeune homme d’origine rurale que sa condition condamne à servir et d’une famille partie faire fortune en Occident. Cette Success Story conçue comme un flash-back dont on connaît l’issue dès le début met en évidence les principaux obstacles auxquels se heurte aujourd’hui encore cette société de castes dont le développement est entravé de façon endémique par l’inertie de ses coutumes et de ses traditions. Un contraste que soulevait déjà avec subtilité le premier film de la réalisatrice Rohena Gera, Monsieur (2018), dans lequel un célibataire de milieu aisé tombait amoureux de sa gouvernante de condition modeste et rurale. En illustrant un thème récurrent parmi les jeunes générations, Le tigre blanc croise les conventions du conte social et celles du film noir pour mieux souligner que les mentalités indiennes ne pourront évoluer que si des grains de sable commencent à s’introduire dans ses rouages pour établir des passerelles entre des castes hermétiques les unes aux autres depuis des temps immémoriaux. Peut-être fallait-il des artistes eux-mêmes issus de cultures multiples pour faire bouger les lignes. Tel est l’enjeu de ce film d’autant plus important qu’il va bénéficier d’un auditoire potentiel de deux cents millions de spectateurs.
Jean-Philippe Guerand
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