Film américain d’Alan Ball (2020), avec Paul Bettany, Sophia Lillis, Peter Macdissi, Steve Zahn, Judy Greer… 1h35. Mise en ligne le 25 novembre sur Amazon Prime Video.
Prix du public au dernier festival de Deauville, Uncle Frank s’inspire d’une l’histoire vécue par le propre père d’Alan Ball, oscarisé en l’an 2000 pour le scénario original d’American Beauty de Sam Mendes.. Celui-ci signe ici son deuxième long métrage en tant que réalisateur après Nothing is Private (2007), inédit en France. Ce film d’apprentissage se déroule en 1973, lorsqu’une étudiante new-yorkaise d’origine provinciale (la prometteuse Sophia Lillis) embarque avec son oncle (Paul Bettany) et l’amant de celui-ci (Peter Macdissi) pour un périple en voiture qui va les mener de Greenwich Village au fin fond de la Caroline du Sud où se déroulent les obsèques du patriarche de leur famille dont ils ont fui plus ou moins consciemment le despotisme toxique d’un autre âge. On retrouve à travers ce périple initiatique le long de la Côte Est, qui évoque l’atmosphère des premiers romans de Philip Roth et de John Irving, la fascination de l’auteur pour la psychologie, à travers l’affirmation de la liberté individuelle dans une Amérique puritaine. En l’occurrence ici une insouciance post-soixante-huitarde, sous le signe de la libération des mœurs et d’une audace qui ne résistera pas à l’arrivée du sida.
Après la chronique new-yorkaise très enlevée d’une bohème sublimée, dont la nostalgie convoque d’innombrables références cinématographiques, de Mike Nichols à Bob Rafelson et Paul Mazursky, Alan Ball dynamite les conventions du Road Movie, si cher au Nouvel Hollywood, et signe une étude de mœurs qui rend compte assez fidèlement de cet âge d’or des possibles, à travers le regard d’une jeune femme dont la capacité d’émerveillement apparaît encore préservée. Le décalage apparaît d’autant plus abyssal entre ces citadins et le monde rural d’un autre âge vers lequel le trio accomplit ce retour aux sources sous le signe d’un “coming out” libératoire. Uncle Frank dépeint toutefois en filigrane une Amérique à deux vitesses où l’homosexualité est en quelque sorte l’équivalent du racisme décrit dans Green Book : Sur les routes du Sud (2018) qui se déroulait moins d’une douzaine d’années plus tôt. Un sujet universel qui passe en outre par un message subliminal sur un pays fracturé où le fossé sociologique devient un abîme qui conduira à cette fameuse polarisation cristallisée un demi-siècle plus tard par l’affrontement sociétal entre Joe Biden et Donald Trump, lisible à travers un autre film récent, contemporain celui-là : Never Rarely Sometimes Always d’Eliza Hittman. À ceci près qu’aujourd’hui, ce voyage s’accomplit en sens inverse.
Jean-Philippe Guerand
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