Sayeha-ye bikhorshid Documentaire irano-norvégien de Mehrdad Oskouei (2019) 1h13. Sortie le 26 janvier 2022.
Étonnant voyage que celui auquel nous convie Mehrdad Oskouei dans un centre de détention pour jeunes délinquantes dont les pensionnaires purgent leurs peines dans une convivialité qui semble les réconcilier avec la vie. Le film alterne des confessions face caméra de ces jeunes femmes dont le voile noir accentue les traits, pour certaines tout juste sorties de l’adolescence, et des scènes de leur vie quotidienne, entre parties de marelle, balle au prisonnier et autres activités de loisir, anniversaire compris. Le contraste apparaît saisissant entre cette insouciance et la gravité des crimes qui leur sont reprochés. Au fil de ces destins brisés affleure un malaise plus profond : celui de la jeunesse iranienne qui n’ignore rien des plaisirs de l’Occident, imite à la perfection Donald Trump et pour laquelle Angelina Jolie et Jennifer Lopez constituent des modèles contre lesquels la république des mollahs est impuissante. L’une parle à cœur ouvert de la dépression qui ronge sa famille, tandis qu’une autre avoue avec un sourire en coin avoir contribué à un empoisonnement collectif. Ce sont majoritairement des hommes qui ont fait les frais de ces crimes. Reflet d’une société d’un machisme archaïque où les mariages forcés jettent des enfants dans la gueule du loup et où la violence conjugale cesse d’être une fatalité.
Le contraste est saisissant entre ces voix de femmes déterminées et les crimes qui leur sont reprochés. Il faut voir cette mère qui déclare que ses deux fils espèrent la voir monter au gibet et expier ses fautes avant qu’on ne la grâcie, une fois la corde au cou. Revient comme un leitmotiv une troublante familiarité avec la mort. Parce que ces meurtrières s’adressent à leurs victimes pour tenter de leur expliquer leur mobile. Un jeu de la vérité étonnant qui donne toute sa puissance à ce documentaire épuré dont les protagonistes n’ont rien à envier aux plus grandes tragédiennes par leur intensité. Peu à peu affleure de ces jeunes femmes déterminées le sentiment qu’elles se sont enfin trouvées une famille et qu’elles seront sans doute plus heureuses ensemble que dans une société où l’avenir apparaît incertain. À commencer par cette femme libérée depuis deux ans qui, à la faveur d’une visite à ses compagnes de détention, avoue qu’elle préférait leur complicité derrière les barreaux à sa prétendue liberté retrouvée. De ce gynécée à l’écart du monde, affleurent aussi l’image singulière de ce bébé pouponné par les détenues et de leur quotidien rythmé par les tâches ménagères. Ces “ombres sans soleil” sont de celles qui marquent les esprits.
Jean-Philippe Guerand
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