Projeyeh Ezdevaj Documentaire iranien d’Atieh Attarrzadeh et Hesam Eslami (2020) 1h20.
39e Festival international Jean Rouch cinéma et anthropologie
C’est souvent des pays en proie aux régimes les plus autoritaires que nous parviennent les concepts artistiques les plus audacieux. Le projet de mariage témoigne d’une expérience humaine entreprise en Iran. En l’occurrence, un centre psychiatrique de Téhéran a décidé de nouer des unions entre ses pensionnaires. Une initiative qui peut laisser perplexe, mais s’avère beaucoup plus positive qu’il ne pourrait y paraître de prime abord. Car chez ces gens en proie à leurs démons, la communication constitue parfois une thérapie en soi, aussi difficile soit-elle à instaurer. Surtout dans un milieu où la mixité est extrêmement réduite. En contrepoint de ce véritable laboratoire de l’amour, la réalisatrice Atieh Attarzadeh évoque sa propre histoire et son mariage à l’âge de 18 ans, comme un saut dans l’inconnu auquel elle n’était pas davantage préparée que les pensionnaires de cet établissement et qui s’est achevé par une tragédie. C’est son propre visage qu’elle reconnaît dans celui de ces “fous” qui se voient proposer par leur directeur de devenir des sortes de cobayes sentimentaux en acceptant de vivre pour et avec quelqu’un d’autre. Parce que la solitude constitue aussi la première des aliénations.
Les préparatifs de ces noces arrangées n’ont pas été laissés au hasard. Quatre couples ont été choisis pour servir de pionniers à cette thérapie précédée de huit mois de mise en condition. Du succès de cette expérience à haut risque dépendra la généralisation d’une pratique considérée comme expérimentale et vouée pour beaucoup à l’échec dans un cadre sensible et vulnérable. Cette expérience est justifiée par des impératifs sexuels et émotionnels. Par ailleurs, certains des pensionnaires de cet asile ne sont là que par la volonté de leurs proches qui ont jugé utile de s’en débarrasser pour ne plus jamais les voir. Certaines des pathologies dont ils souffraient se sont atténuées et ils ne présentent pas tous de danger avéré pour les autres. Le panel choisi est par ailleurs un reflet des hasards de la vie. L’une des futures épouses avoue que le mariage lui importe davantage que le mari, une autre aspire à une belle histoire d’amour. Les élus sont passés à la question et mis en condition. Tel amoureux transi s’avère être un schizophrène à tendance paranoïaque dont l’agressivité est neutralisée par la Clozapine. Sous le calme de façade de ces femmes et de ces hommes, sourd un mal contenu que le stress du mariage peut raviver. Le danger est donc réel et l’amour n’est qu’un bonus qui déborde du champ clinique.
Le projet de mariage ne se contente pas de relater une expérience thérapeutique délicate. Il s’attache à ses conséquences psychologiques et curatives autant qu’à ses risques. À ceux qu’encourt un couple traditionnel s’ajoute la pathologie spécifique de ses protagonistes, sachant que la procréation est exclue par principe. L’échantillonnage de départ comporte une quarantaine de personnes sur les quatre cent quatre-vingt malades que comprend l’asile. Le casting se doit en effet d’être infaillible. Toute erreur exposerait le corps médical comme les pensionnaires à des conséquences incalculables. Par ailleurs, une fois cette initiative décidée, certains se voient déjà en couple, tandis qu’en coulisse, médecins et infirmières effectuent des choix draconiens fondés sur des critères qui n’ont rien de sentimental. Leurs débats sont sans pitié. Ce documentaire relate une expérience scientifique qui, en tant que telle, ne peut s’accommoder d’aucune approximation. C’est même la limite de l’exercice. Reste que ce sujet mériterait de donner lieu maintenant à un film de fiction, tant son postulat s’avère intense sur le plan dramatique. Rarement l’expression de cinéma vérité a été aussi justifiée que dans ce film baigné d’empathie qui se situe aux antipodes de la téléréalité par les constantes incertitudes à travers lesquelles il progresse. Entre ceux qui s’aiment et ceux qui apparaissent compatibles, il y a un abîme vertigineux que seule la vie commune pourra combler… ou pas. Avec un grand point d’interrogation en guise de conclusion. Semblable à ceux qui parsème n’importe quelle existence humaine.
Jean-Philippe Guerand
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